La Croix, 31 octobre 1993, par Michel Crépu

Cela fait toujours quelque chose de se trouver en présence d’une écriture qui en est vraiment une, qui n’a plus rien à voir avec le lot commun, les listes, les prix, toute la comédie littéraire, feuilles de saison que la comédie aura dispersées dans les trois minutes. Pierre Bergounioux écrit. C’est-à-dire qu’il ne craint pas d’écrire dans une langue unique, la sienne, irréductible au divertissement pascalien : il est l’écrivain qui est vraiment capable de rester dans sa chambre. Dans sa « gousse de chair, dirait-il plutôt, le sac de peau où on va passer l’intermède. »

Bon sang, où est-ce que nous avons déjà lu ce genre de mots abrupts, déchiquetés comme les grands marcheurs de Giacometti (qu’il admire, croit-on savoir) ? Dans Beckett, dans Péguy aussi, lorsque Péguy ratisse obstinément la terre avec ses mottes et ses vieux clous. Qu’importe où nous avons déjà rencontré ce langage. Nous voyons bien à qui nous avons affaire : un gaillard pour qui les romans ne font que tourner autour de la « gousse de chair », trop dure à habiter.Ce qu’il veut lui, sa seule idée en tête, c’est raconter ce que ça fait, au plus juste, au plus rigoureusement cartésien du terme, d’habiter cette gousse de chair.