Valeurs actuelles, 22 juin 1996, par Jean Védrine
Tous les personnages de Bergounioux, toutes les figures, lumineuses ou effrayantes, surgies de son enfance ont en partage une expérience de l’ombre, de la souffrance, que le sol où ils sont nés leur a brutalement imposée. Le « chevron » désigne justement un relief propre aux alentours de Brive, la répétition presque infinie d’une succession de collines pentues et boisées, séparées par des combes sombres et humides d’où le marcheur, le grimpeur, celui qui rêvait de s’échapper ou de découvrir d’en haut le bel horizon, ne sort jamais qu’éreinté et déçu.
Au pays de Bergounioux, tout effort, toute marche ramène à la déception, à l’ombre du sous-bois ou de la rue tortueuse. « Marcher, nous dit-on, dans Le Chevron, s’apparente à un travail de force, à une expiation, à un châtiment. » À chaque pas nous tente le rien ou le néant, mots qu’on croirait tombés d’une bouche janséniste dans ces phrases vraiment belles et hautes, comme revenues soudain du Grand Siècle ou de Saint Simon. Et ce sont bien sûr nos brèves vies qui sont mesurées à l’aune de cette terre si âpre et de ces échappées impossibles.