La Liberté, 21 janvier 2012, par Alain Favarger
Les carnets d’un enseignant
Des romans, des essais, un vaste journal intime, toute l’œuvre de Pierre Bergounioux est portée par le désir « d’y voir clair dans cette vie ». Pour l’écrivain né à Brive-la-Gaillarde en 1949, la pratique de la littérature s’est longtemps faite en parallèle avec une activité d’enseignant dans des collèges d’Ile-de-France, où la foi dans les vertus de l’école pour tous s’est souvent heurtée au roc des pesanteurs sociales. Et des méfaits de l’inculture induite par la société du spectacle et du tout divertissement. Lecteur boulimique, esprit humaniste curieux de toutes les formes de la pensée, Bergounioux a toujours eu besoin de l’équilibre entre l’intellect et le manuel, traquant les mystères de la nature, tour à tour entomologiste collecteur d’insectes, pêcheur en rivière ou sculpteur sur bois comme sur métal.
C’est un autoportrait d’écrivain anxieux, soucieux des siens et profondément amoureux de sa femme Cathy, conscient du sentiment merveilleux de l’avoir rencontrée dès l’adolescence, que l’on retrouve tout au long de ses carnets de notes. Après deux premiers tomes de plus de mille pages chacun, voici le troisième couvrant les années 2001-2010. On y trouve au jour le jour la chronique d’une vie entre Gif, non loin de Versailles, la Corrèze natale et autres lieux.
Rencontres, lassitude face au dur labeur d’enseignant, notes de lecture, observation méticuleuse de la nature marquent cette nouvelle tranche. Avec, dans sa dernière partie, les signes de troubles multiples face au vieillissement et à la peur du néant. Tension, oppression, angoisse devant la menace d’un effondrement scandent cette entrée dans la soixantaine. « J’ai l’âge d’appareiller. J’ai vécu », s’exclame parfois l’écrivain au bord du découragement, mais toujours capable de s’exprimer dans une langue à la fois très pure et tendue comme un arc.