L’Humanité, 2 février 2012, par Christophe Mercier

Des vies écrites

[…] on sait [que Baillet est] un auteur de chevet pour Pierre Bergounioux, dont Descartes est le héros, omniprésent dans nombre de ses romans, et à qui il a consacré un bref essai, Une chambre en Hollande.

Le mercredi 6 juin 2007, il note dans son carnet : « Il va faire beau.

Les trente pages que j’ai écrites sur Descartes ne valent rien. Elles appellent une refonte complète si même elles ne sont pas à mettre au panier. Je n’avais pas suffisamment clarifié l’affaire, avant de m’y jeter », et le lendemain, jeudi 7juin : « Il a plu dans la nuit. Je relis Baillet in extenso et reprends l’affaire hollandaise au commencement. » Gageons qu’il aura été l’un des premiers acheteurs de cette réédition.

Le troisième volume de son Carnet de notes est aussi beau, aussi précieux, humainement, que les deux premiers. Il n’y a sans doute, dans la littérature autobiographique du 20e siècle, que le Journalde Léon Bloy pour faire montre d’une telle authenticité, d’une telle sincérité, d’une telle simplicité, dans la description, au jour le jour, de la vie d’un homme, de ses soucis, de ses colères, de ses joies parfois, aussi, mais plus souvent de ses peines. Le journal de Bergounioux n’est pas de ces journaux d’écrivain qu’on parcourt à partir de l’index, pour s’amuser d’un ragot, d’un portrait, d’une vacherie. Ici, pas d’index, pas de « gens-de-lettrisme ». Il ne s’agit pas du journal d’un écrivain mais du journal d’un homme comme les autres, qui voit grandir ses enfants, vieillir sa mère, qui devient lui-même grand-père, et sent le poids des ans et de la maladie. Le Carnet de notes, c’est le récit des travaux et des jours d’un « honnête homme », voué à sa famille, à son travail et à ses réflexions, qui s’interroge sur le monde qui l’entoure (Bergounioux, jusqu’en 2009, est resté professeur de collège), un récit qui, par sa simplicité, sa modestie, sa transparence, devient un livre universel.

Quand on prend le Carnet de notes à la première page, on lit les mille pages suivantes avec fascination : Bergounioux nous parle à tous, et sa vie banale – indépendamment du fait qu’il est, avec son ami Pierre Michon, l’un des très grands écrivains français d’aujourd’hui – est celle de chacun d’entre nous.