Lire, décembre 2010, par Alexandre Fillon

La position du tireur à l’arc

Le Japon vu par Vincent Eggericx. Entre récit de voyage et confession, l’expérience d’une méditation.

Bienvenue dans une ville qui n’existe pas ! Où l’été est « torride, interminable », et où l’hiver a « des longueurs de ban-quise ». Bienvenue à Kyôto, avec ses milans noirs et ses hérons plantés sur la rivière Kamo. Ses vélos qui circulent de manière totalement arbitraire. Tout comme Olivier Adam l’a fait il y a peu dans Le Cœur régulier, c’est là que nous emmène aujourd’hui Vincent Eggericx. Un fin prosateur découvert avec L’Hôtel de la Méduse (Verticales, 1998), que suivront Le Village des idiots (Denoël, 2004) et Les Procédures (Léo Scheer, 2006).

Le narrateur est venu se reposer « à l’ombre du Japon de la fournaise européenne ». Fatigué de la haine qu’il sentait monter en France, « empaquetée dans une bulle de bons sentiments », il a laissé derrière lui Paris et son emploi de réceptionniste dans un hôtel tombant en ruine. Sur place, nous le voyons se familiariser lentement avec un art particulièrement difficile, le kyudô, que des connaissances techniques ne suffisent pas à assimiler.

Le but du tir à l’arc japonais n’est pas seulement de toucher la cible, il faut plutôt l’envisager comme un exercice spirituel, une cérémonie comprenant huit phases – Eggericx y voit le « film lent de la rencontre de l’universel et du particulier, du vieux mystère avec la fugace présence humaine ». L’exilé se rend à bicyclette matin et soir dans un dojo hors du temps, chambre d’écho de toutes ses angoisses, où il s’entraîne en observant les gestes de maître Kamikawa et maître Hotei.

En chemin, on entendra parler de la volcanique Yuki avec son rire d’oiseau et ses yeux pétillants. D’un grand-père chasseur et d’une mère tellement belle « qu’elle appartenait à un autre monde »… Si le Japon semble un baume, il faut y respecter les règles en usage. Ne jamais dire non. Faire attention au poisson-lune, surnommé « le flingue », spécialité culinaire du Kansai qu’il faut accommoder d’une certaine manière si l’on ne veut pas absorber son poison. Tenant à la fois du récit, du roman et. de la confession, L’Art du contresens décrit minutieusement le combat d’un apprenti archer contre lui-même. Et laisse entendre la musique d’un écrivain déjà bien aguerri.