Télérama, 2 octobre 2010, par Marine Landrot
Pendant son séjour à la villa Kujoyama, sorte de villa Médicis japonaise qui accueille à Kyoto des créateurs de tous horizons, Vincent Eggericx a cherché l’inspiration au sens propre comme au figuré : il s’est initié au tir à l’arc, sport imposant une technique respiratoire très spéciale, et a bâti ce roman introspectif envoûtant, à la fois brumeux et limpide. Quel rapport entre la discipline d’archer et l’écriture ? « La cérémonie du tir était le film lent de la rencontre de l’universel et du particulier, du vieux mystère avec la fugace présence humaine. La littérature était la somme d’une existence sublimée dans un livre : le livre aussi bien que le tir mettaient en scène une naissance et un anéantissement, les ramassaient dans une forme signifiante. »
Écrit comme un journal éclaté, sans autre date que l’écoulement des saisons, sans autres rendez-vous fixes que les cours de tir à l’arc au dojo de maître Kamikawa, ce livre séduit par sa drôlerie. Il y a du Woody Allen chez Vincent Eggericx, qui se retrouve dans un studio à chasser les papillons, bêtes noires de sa fiancée Yuki, une irrésistible Annie Hall du cru… Avançant à tâtons dans l’opacité flottante du Japon, l’auteur chancelle, titube, plane. Ses sens sont décuplés, sa clairvoyance sur lui-même aussi. Issu d’un « fond obscur », il recueille les souvenirs qui affleurent à la surface de sa conscience chamboulée et fait la lumière sur son passé. Ode au voyage, à l’exil, à la fuite dans ce qu’elle a de plus noble, ce guide peuplé de fantômes se lit comme un conte noir. C’est un livre de conjuration, vif et réconfortant, que tout voyageur à destination du Japon devrait prendre dans sa besace.