Le Dauphiné libéré, 2 octobre 2000, par Didier Pobel

Gil Jouanard publia jadis des poèmes plutôt de bon aloi. Il semble toutefois avoir trouvé, depuis plusieurs années, le registre qui lui convient le mieux. Ce sont de courtes proses captant malicieusement sa nonchalance mâtinée de frénésie, son attention désenchantée au monde, sa façon toute simple de composer avec la vie Plutôt que d’en pleurer ; bref ce Goût des choses revendiqué à condition qu’il soit balisé par Le Jour et l’heure. C’est bien ce même désir de retenir l’infime le plus fugace qu’on retrouve dans Mémoire de l’instant son nouveau livre. Empruntant tout à la fois au journal, à la confession et à l’essai, ces textes se présentent aussi, et peut-être d’abord, comme une sorte de carnet de voyages. De Montpellier à Bratislava et de Vienne à Tanger en passant par Paris, Jouanard consigne de menus faits, des réflexions impromptues, des propos sur les écrivains… Une manière toute naturelle pour lui d’assembler le livre de bord d’un homme de bonne volonté convaincu depuis longtemps déjà que « la vie n’est qu’une suite interminable de brièvetés, auxquelles ne se peut jamais accrocher nul espoir de durée, cernées globalement par deux séquences d’ambiguïté et de paradoxe inextricables ». S’il peut paraître sans cesse en mouvement, y compris depuis sa prime enfance évoquée au fil des pages, Gil Jouanard n’en est cependant pas moins solidement rivé à une terre bien précise. Pas très loin du Languedoc où ses activités le retiennent régulièrement, il a ses racines sur un bout du monde qui reste toujours à portée de cœur et de regard : le causse Méjean. De nombreux fragments de cet ensemble ont été conçus dans le village de Saint-Pierre-des-Tripiés, ou dans les alentours, au cours d’errrances en forme de ressourcement entre falaises, maisons basses, forêt et abîme. « À se sentir serré d’aussi près par les limites de l’espace, peut-être s’éprouve-t-on comme restitué à l’étroite et cependant si rassurante cavité intra-utérine » note-t-il, par exemple, le 31 décembre 1998 « dans le clair-obscur orageux de quatre heures de l’après-midi ». Une précision qui invite à relever le souci constant dont témoignent ces propos : détailler toujours les circonstances aussi bien que les lieux à l’origine de l’écriture (train, avion, terrasse d’un bistrot…). Gil Jouanard est de la famille vagabonde des Gracq, des Calet, des Cingria, des Larbaud, des Roux ou, plus près de nous, des Réda, autant de figures qu’il salue d’ailleurs, en passant, pour leur aptitude à une réconfortante « fiction ludique distanciée ou [aux] confidences détournées ».