Dernières nouvelles d’Alsace, 28 juin 2008, par Veneranda Paladino
Masson taille une œuvre
Jean-Yves Masson a séduit l’Académie Goncourt et se voit décerné à Strasbourg, la Bourse de la Nouvelle pour son recueil Ultimes vérités sur la mort du nageur. Le passeur enfin récompensé.
À l’heure où l’on mesure la qualité des hommes à la quantité de leurs ouvrages, à la matière qu’ils ont laissée derrière eux, l’œuvre de Jean‑Yves Masson apparaît sommaire voire diffuse, évoluant entre écriture et traductions.
Tendus et taillés, ses textes tiennent de la gemmologie, ses phrases inaltérables, élégamment ciselées ont été tamisées et laissent apparaître une transparence de cristal.
Si les caractéristiques de la vraie littérature tiennent aux style, nerf et à une vision, Jean-Yves Masson en maîtrisent pleinement les ressorts. Et ce n’est que justice qu’aujourd’hui, il soit enfin récompensé et par la Bourse Goncourt de la Nouvelle et par le prix de la Renaissance, en Belgique.
Ultimes vérités sur la mort du nageur qui d’entrée obtint l’assentiment d’Edmonde Charles‑Roux, se lit comme un poème saturnien, s’écoute comme la Première Gymnopédie d’Erik Satie. Musique lente et déchirante mais aussi simplement belle que touchante.
On l’aura compris l’humeur qui imprègne le recueil touche au vertige, annonce le désastre, ausculte le désarroi humain ; l’auteur sonde les franges ambiguës de toute existence avant la finitude programmée. Les sept titres des nouvelles – la dernière étant éponyme – composent un rébus passionnant articulé par diverses stases : une description, un égarement, un voyage, une terreur, un silence, un passage, un retour.
Temps et espace, deux repères qui (dés)orientent une vie et qui ancrent ces captivantes 122 pages. Le lecteur est saisi bien souvent d’un malaise tant le fantastique dans lequel l’on bascule est discrètement planté, le cheminement serein mais certain vers le néant, le vide sidéral. À l’instar du cinéaste Georges Franju, Jean-Yves Masson s’empare d’états étrangement familiers (une conversation avec sa grand-mère, l’arpenteur qui rentre chez lui), et en soulevant délicatement les cailloux sur sa route bascule vers de troublantes sensations.
Était‑elle hallucinée voire fantasmée, cette discussion avec la grand‑mère morte depuis dix ans ? La grande faucheuse guide, happe le lecteur confronté à la vie cette absurdité complète, à l’espoir perdu à mesure que la vague avale, tel un fétu de paille, le nageur aussi expérimenté fut‑il. » On retrouva son corps le soir, dans une anse un peu à l’écart, non loin d’où il était parti. Il n’avait plus de visage ».
Sonné et fasciné, on avance dans ce voyage d’écriture emporté par une force qui arrache au silence un peu de l’inconnu qui est en nous. Jean-Yves Masson imbrique, et déplie les ondes magnétiques du trouble, se tient à l’écart de la seule mélancolie et fait sourdre d’univers familiers toutes les nuances de l’étrangeté, la plus ténue au fantastique.
Commentateur avisé de Hofmannsthal, de Rilke, de Rimbaud, chroniqueur au Magazine Littéraire,traducteur émérite des poètes italiens, notamment, les contemporains Roberto Mussapi, Leonardo Sinisgalli, de l’Anglais W. B. Yeats, Jean-Yves Masson écrit des poèmes, a signé un roman (L’isolement, éd. Verdier, 2006) dirige des collections (« Le Siècle des poètes » de Galaade Editions, celle allemande de Verdier), mais jamais ne laisse sa plume s’épuiser par la seule érudition.