Indications, novembre 1993
« J’avais tenté d’abolir la mémoire en donnant la réplique à Maurice, chaque soir de ma vie, dans nos pièces à deux personnages, mais cette nuit, accoudé au bar du Transit, je compris que je n’avais rien réglé et que la pièce qu’il avait écrite pour moi, ces Larmes du petit soldat, que nous avions jouée avec tant de violence pendant une année, n’avait pas réussi à me sauver du passé. » (p. 48) Un couple de vieux comédiens donnent pour la dernière fois devant un public inexistant une pièce de théâtre mettant en scène un drame vécu par le narrateur durant la Guerre d’Algérie, drame qu’il n’a jamais pu oublier et qui brisa sa vie. Dernier lieu de représentation : Heavenbad, une ville-fantôme du nord, où ils retournent inexorablement après chaque tournée et où se déroulera l’ultime acte d’un drame commencé trente ans plus tôt dans le désert du Mesdour, quand un enfant-soldat fut sacrifié pour le simple péché d’avoir été trop blond et trop beau. Tragique huis-clos sur fond d’amour, de guerre et de vengeance, ce roman aborde en demi-teintes des thèmes qui restent aujourd’hui tabous : l’homosexualité dans l’armée et les crimes perpétrés lors des années d’Algérie. Le Corps du soldat est aussi et surtout une tragédie du souvenir, où passé et présent, fiction et réalité se mêlent dans une danse macabre, dont l’issue semble jusqu’au bout indéfinissable et laisse en fin de courses le lecteur pantois, avec dans la bouche un goût amer de sable et de sang.