La Provence, 19 avril 2008, par Edmonde Charles-Roux
Jean‑Yves Masson : on va entendre parler de lui
Jean-Yves Masson est l’auteur d’un recueil de nouvelles d’une qualité rare et d’une écriture si belle qu’il se trouve placé en tête de la liste des ouvrages sélectionnés par l’Académie Goncourt pour la Bourse de la nouvelle. En sera‑t‑il le lauréat ? Le vote seul nous le dira.
C’est la huitième et dernière nouvelle du recueil qui donne son titre au livre, titre mystérieux à souhait. Ultimes vérités sur la mort du nageur. Comme chacun des textes de cet ouvrage, il baigne dans une atmosphère troublante, comme en suspens entre rêve et réalité. Jean‑Yves Masson est professeur et écrivain, il est aussi poète et traducteur, métier qu’il exerce fièrement non sans noter au passage le mépris dans lequel cette profession est tenue jusque parmi les gens « qui croient aimer les livres ». Enfin, notons que Jean-Yves Masson dirige, aux éditions Verdier, la collection « Der Doppelgänger », consacrée à des textes littéraires germaniques.
Jean-Yves Masson utilise une belle langue classique. Très intériorisées, ces nouvelles accrochent puissamment le lecteur, le laissant parfois à la limite du malaise.
La mort est partout en embuscade. Il faut aller d’une nouvelle à l’autre comme on va d’allée en allée à la découverte d’un jardin inconnu. La première des nouvelles est une description. Un homme est assis devant sa fenêtre. Il écrit à son fils, absent, pour lui parler de la lumière qui baigne la place qu’il voit de sa fenêtre. C’est jour de marché. Il est soudain conscient d’une présence silencieuse, dans sa chambre, auprès de lui. Une visiteuse est là qu’il n’attendait pas et dont il se souvient sans pouvoir dire où ni quand il l’a vue. Il ne s’était pas douté qu’elle allait venir. Mais il l’a aussitôt reconnue, étonné qu’elle soit « si simple et si peu effrayante ». Donc elle était là, la mort qui semblait attendre quelque chose. Mais quoi ?
Dans la dernière nouvelle, le narrateur se souvient de B., né dans une île, mort depuis 50 ans, « un être d’exception » dont ses compatriotes sont fiers, un homme d’une beauté solaire, un extraordinaire nageur, devenu célèbre. Sa biographie officielle affirme qu’il renonça à la compétition et se suicida. Mais le narrateur sait que B. avait bien d’autres raisons de se tuer : il avait pris notre civilisation en horreur. Il haïssait un monde qui poussait l’homme à s’imaginer que le dépassement de soi peut être quantifié, un monde d’où « les dieux avaient été chassés ».
Le jour du solstice d’été. B. avait voulu tenter l’impossible : aller à la nage jusqu’à un récif où nul n’avait posé le pied depuis des millénaires.
Il y alla, lutta contre les flots et disparut happé par une vague immense.
On retrouva son corps le soir, dans une anse, un peu à l’écart et non loin de celle d’où il était parti. Il n’avait plus de visage.
Ces huit nouvelles sont une suite d’images fortes dont certaines sont envoûtantes. Toutes nous invitent à dire autrement l’égarement, la peur, le voyage, l’oubli et le silence de la mort.