Le Magazine littéraire, octobre 2007, par Minh Tran Huy

Un homme se concentre si fort sur une description que la mort même ne parviendra pas à l’en arracher ; un autre quittant son domicile s’égare sans espoir de retour ; un troisième revient s’installer dans la maison de son enfance et perd peu à peu contact avec le réel… Dans les nouvelles de Jean‑Yves Masson, sur lesquelles planent les ombres de Kafka et de Buzzati, les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être. Le quotidien se tisse d’inquiétudes et d’étrangetés, l’action (réduite à son minimum) obéit à la seule logique des songes, et les héros, quand ils ne se tiennent pas à la lisière de la folie ou de l’hallucination prolongée, connaissent la tentation de l’hybris – comme dans la belle nouvelle‑titre, qui nous conte l’exploit singulier, à la fois physique et métaphysique, d’un nageur de compétition.

Traducteur de l’italien, de l’anglais et de l’allemand, chroniqueur de poésie au Magazine Littéraire, directeur de la remarquable collection de littérature allemande « Der Döppelganger » aux éditions Verdier, Jean‑Yves Masson est de ces auteurs dont l’exceptionnelle érudition n’a étouffé ni l’imaginaire, ni la plume. Impeccablement construites, riches en symboles, ses nouvelles mettent en scène des personnages qui sont autant de métaphores de la condition humaine – confrontés à la mort, luttant contre un Père destructeur, retournant sur les lieux de leurs origines, défiant les éléments naturels. « Il répétait souvent que l’important n’était pas l’activité à laquelle on consacrait ses forces, mais la quantité d’inconnu que l’on parvenait à faire surgir grâce à elle », déclare le narrateur d’« Ultimes vérités sur la mort du nageur ». Des mots qui s’appliquent à son ami athlète mais qui vaudraient tout aussi bien pour le poète, l’artiste en général ou Jean‑Yves Masson en particulier, qui joue avec élégance d’une constante hésitation entre le réel et le surnaturel celle décrite par Tzvetan Todorov pour définir la littérature fantastique – pour décrire le combat, parfois perdu d’avance, de l’homme face à l’énigme du monde.