Le Nouveau Recueil, décembre 2007, par Corinne Godmer
Où que j’approche, où que j’aborde,
Ici dans l’ombre, là sur le sable,
Ils viendront près de moi s’asseoir,
Et moi, je les divertirai,
Je les lierai de mon lien d’ombre.
Poème central qui donne titre au recueil et lien d’ombre qui s’annonce en chiasme intentionnel. Lien des morts dont l’ombre guide les vivants, leur prêtant un langage et des intentions de sens. Ces morts qui nous gouvernent, donnent la vie d’héritage, l’inquiétude du présent, remettent en cause la possibilité de dire ce qui s’énonce déjà.
Ombre et lien du langage lorsque la tradition se noue dans sa complexité. Figures tutélaires magnifiées, repoussées, tentacules de sens en figure de Gorgone qui étrangle le Moi et pousse à la métamorphose. Ombre et lien de l’enfance également, univers de tendresse, où l’être en devenir s’abandonne à l’innocence d’être, simplement petit d’homme qui reprend le lien d’ombre et ne présage pas le malheur à venir.
Ombre et lien de la sensualité, trouble, aux envols de circonstances, guidés par le déni, la culpabilité. Ce qu’il est socialement convenu d’éprouver est soigneusement rapporté, ce qui est réellement ressenti éclate sur la page. Lien en ombre du non‑dit, femme en sensualité de mort, attirance niée, la confusion des sentiments cache le désir de l’autre, le perd dans l’écriture, le retrouve, le transforme.
Monde recréé enfin du théâtre comme ultime langage, magie de l’expression et de la figuration. La charge du passé n’étouffe plus les mots, le verbe se déploie, magnifié par le lieu, le sens reprend son droit, se libère de la faute. Le mouvement s’amplifie sous le bruit des étoffes et des rires, la parole s’autorise dans la continuité. La communauté se renoue, envisage un avenir au‑delà du lien d’ombre, dans l’ivresse, le rêve, l’amour, la mort. La vie, donc, dans l’ombre de ses liens.
De ce lien se dénouent Renoncement et métamorphose formulés par le traducteur. Renoncement poétique et métamorphose du lien unissant le poète au passé, deux attitudes qui découlent l’une de l’autre et en un Tout parviennent à transformer le verbe. Dialogue avec autrui, solitude de l’artiste dont la parole se brise, dont la crise du langage passe par les mots sans vie, sans authenticité. Vient la prise de conscience que l’expression du Moi se joue avec autrui, que la poésie « œuvre autant contre eux qu’à partir » des mots, que la tradition rejetée s’affirme aussi comme signification. Le langage reste un lien, le seul semble‑t‑il à même de guérir le désenchantement, de fonder une communauté des hommes en impliquant ces morts qui parlent encore en nous.
Mise en valeur de l’homme dans sa complexité, esquissé jusque dans ses colères, l’érotisme latent ramené au visible, dans l’ombre du rire rageur, de l’ivresse dionysiaque, le cheminement de l’œuvre prend sens et se complète. Les prises de positions se mûrissent longuement à l’épreuve de la vie mais les contradictions demeurent, la réflexion aussi. « Ce que la poésie exige », ce qu’elle apporte aussi, en lien d’ombre éclairé par la lumière des mots.