Livres hebdo, 13 décembre 2013, par Véronique Rossignol
Le bûcher de Goethe
Un épisode capital de la vie du poète allemand raconté par un témoin inconnu.
L’exhibition n’est pas dans sa nature, et on ne peut pas dire qu’il encombre les rayonnages de librairies. Discrètement fidèle à ses objets d’admiration au premier rang desquels la poésie germanophone, Jean-Yves Masson, poète, traducteur, critique, éditeur, n’avait pas publié d’ouvrage de fiction depuis 2007 et Ultimes vérités sur la mort du nageur, beau recueil lauréat de la bourse Goncourt de la Nouvelle. Tandis que ressort en Verdier poche L’Isolement, son premier roman paru il y a dix-huit ans, l’écrivain en publie un deuxième, portrait indirect de Goethe dans ses dernières années et roman historique documenté autour d’un moment fort de la culture germanique.
L’Incendie du théâtre de Weimar raconte, avec trente ans de décalage sur les faits, un épisode de la vie du monument de la littérature européenne, le traumatisme personnel consécutif à la destruction totale, dans la nuit du 21 au 22 mars 1825, du théâtre ducal que Goethe avait dirigé pendant trente ans avant de démissionner en 1817, apportant à cette petite ville un rayonnement artistique incomparable. Mais l’originalité du récit tient à son narrateur, Robert Doolan, un magistrat anglais, qui dans sa jeunesse a croisé Goethe et était présent à Weimar ce printemps-là. C’est donc un témoin inconnu, de l’ombre, qui se souvient. Il est lui-même lié à un autre témoin, plus proche du grand homme : l’écrivain Johann Peter Eckermann, auteur de Conversations avec Goethe et responsable de l’édition des œuvres du poète en 40 volumes. L’ami et complice intellectuel, à qui Goethe aurait confié au lendemain de l’incendie qui avait réduit en cendres l’une des réalisations dont il était le plus fier : « Avez-vous vu les ruines, Eckermann ? C’est le bûcher de mes souvenirs. J’en ai le cœur navré. » Cette double médiation narrative, ces points de vue habilement entremêlés, qui révèlent autant une position artistique singulière qu’une philosophie générale de l’art théâtral, permettent de vivifier la prose classique, soucieuse d’équilibre, de Jean-Yves Masson. Et d’éclairer avec érudition la phrase que Goethe avait écrite en 1831 dans une lettre à son dévoué Eckermann, et placée en exergue du roman : « Un fait de notre vie ne vaut pas en tant qu’il est vrai, mais seulement pour ce qu’il signifie. »