Le Magazine littéraire, avril 1992, par Serge Safran

La mort en italiques

La lutte pour le bonheur ressemble étrangement à celle contre la mort. La vieillesse en devient plus aiguë, confrontée aux souvenirs d’enfance et à la différence d’âge. Entre une mère sur le point de perdre la vie et une nouvelle « jeune » femme qui, elle, la croque à belles dents, le narrateur d’Hugo Marsan doit faire face à la solitude, même désirée, même redoutée. Sa situation d’écrivain lui impose de mettre fin au dernier chapitre d’un roman en train de s’écrire, et qui pourrait être le récit donné ici à lire. Cette « modification » renvoie à la présence d’un « personnage » qui, d’une certaine façon, fait son entrée en littérature : l’ordinateur. Le traitement de texte reste donc à veiller dans la nuit, comme un « soleil pâle ». On peut bien sûr y voir un substitut de la figure maternelle qui hante, par son refus de s’éteindre et son pouvoir absolu, le fils en mal d’espérances à jamais abolies. Mais les vertus de l’écriture et d’un nouvel amour permettent à l’écrivain, dévoré par l’écran nocturne des mots ultimes, de voir la vie sous un jour plus prégnant.

L’apparition de Jane, rencontrée chez son ami Angelo, sur un balcon dominant, comme dans Giono, une « ville morte », n’est pourtant pas un recours suffisant. Son départ pour la guerre – qu’on devine être celle du golfe –, en tant que journaliste, le renvoie trente ans en arrière, lors de la guerre d’Algérie. Guerre contre guerre, absence contre absence (celle de la femme aimée contre celle du fils toujours jugé coupable), le narrateur en vient à prendre conscience que « C’était ça sans aucun doute aimer, non pas communiquer – ce verbe affreux –, mais être englouti dans l’espérance de l’autre… » Jane reviendra-t-elle à temps, porteuse d’un avenir radieux ? Le dernier chapitre sera-t-il celui tant attendu ? L’auteur peut-il en connaître lui-même l’issue fatale ou l’heureuse conclusion ?

Hugo Marsan laisse son lecteur dans l’expectative au terme d’un récit où voix diverses et discours indirects s’immiscent, comme la mort, en italiques, jusqu’à se confondre dans l’harmonie désespérée de la mémoire en lutte avec une histoire qu’il voudrait sans lendemain. Mais l’ombre d’Angelo, réminiscence discrète de rencontres autant littéraires qu’humaines, éclaire paradoxalement ce monologue intérieur où les contraintes de l’écriture, à défaut de l’inaccessible bonheur, dévoilent une indubitable beauté.