Télérama, 8 septembre 1993, par Michèle Gazier
Théâtres d’ombres
[…] Fuyant le conformisme du récit linéaire ou du mélo, Hugo Marsan piège son lecteur dans une sorte de thriller métaphysique qu’il situe dans une ville grise du nord de l’Europe, comme les chante Jacques Brel. Il faut imaginer Le Corps du soldat comme un film dont les brèves séquences passent du noir et blanc le plus artistique et angoissant à d’éclatantes couleurs. Noir et blanc de la nuit, des bistrots, des hommes qui dansent pour séduire et s’oublier sous les projecteurs blafards des boîtes interlopes. Couleurs de l’Algérie à l’éblouissante lumière, des déguisements des soldats désœuvrés dans leur caserne sans femmes.
Nous zigzaguons sans cesse entre hier et aujourd’hui. Ce qui se joue sous nos yeux est autrement plus important qu’un simple règlement de comptes bien ficelé. Nous ne sommes plus au théâtre, nous ne sommes pas non plus au cinéma, nous répète Marsan, mais dans la vraie vie, là où l’on souffre et où l’on meurt. Il y aura toujours des hommes pour aimer, des guerres pour tuer, des soldats pour mourir. Pourtant ceux qui vivront ces drames de l’amour et de la guerre seront toujours uniques. Et, à l’heure du dénouement, quand le livre se referme sur un théâtre d’ombres, une image persiste, celle d’un jeune homme égorgé dont le cadavre dénonce à la fois les pièges de la passion, les folies du désir, la bêtise des guerres.