La Vie, 21 mai 2009
Voici une fiction engrossée par l’Histoire. Jusqu’à la moelle. Pierre Michon y figure la Terreur sur le canevas d’un tableau imaginé, les Onze – les onze membres du Comité de salut public fondé par Robespierre en 1793, qui noyèrent la Révolution française dans le sang. Et ce tableau, Grand Dieu !, on le voit. Ombres et lumières des portraits, gloire et vanité des héros – presque tous furent des écrivains ratés… – à se hisser sur l’estrade de l’Histoire, à enclencher la roue à broyer les destins. Dans sa langue drue et puissante, au souffle épique, Michon fouille la généalogie du peintre, un certain François-Élie Corentin, dont l’aïeul provincial illettré fut « entrepreneur en terrassement » sous Colbert, dont le père, transfuge social, devint homme de lettres à la capitale, laissant François-Élie à l’amour dévorant de deux femmes, mère et grand-mère. Un prétexte pour portraiturer une France de gueux et de puissants, de rudes « Limousins » et de perfides courtisans, en attendant la suprême arrogance des représentants en mission et des nouveaux princes assassins. L’Histoire, cette traîtresse, est ici portée par l’illusion de l’art et la force incandescente des mots. Splendide.