Le Magazine des livres, hors-série nº 21, 1er janvier 2010, par C. Thomas

Michon, entre clair et obscur

On ne présente plus Pierre Michon. Reconnu depuis les Vies minuscules comme l’un des auteurs français contemporains incontournables, il nous entraîne, dans son nouveau roman, suries pas du peintre François-Élie Corentin, « le Tiepolo de la Terreur », et nous fait entrer dans sa toile la plus célèbre, Les Onze, portrait des hommes du Comité de salut public, organe du gouvernement révolutionnaire mis en place par Robespierre en 1793 durant cette période qui fut « comme le comble de l’histoire. »

Michon retrace la généalogie du peintre, de son grand-père maternel, ingénieur animé de « ce grand appétit souverain, magicien, qui [sur la Loire] avait bâti les grandes levées toutes droites, les impeccables écluses », à son père, poète oublié qui abandonna sa famille pour la vie parisienne. Thème de prédilection de l’auteur, Corentin est l’enfant-roi, bénissant l’absence de ce concurrent qu’est le père, et d’un autre rival, le grand-père. François-Élie Corentin grandit ainsi « comme tissé des mailles » des jupes de sa mère et de sa grand-mère dans le Limousin, sous « ces ciels français, poussiniens, qu’il peignit peu ». Devenu peintre respecté, Corentin se voit commander Les Onze, à peindre dans le plus grand secret. La commande, cette « céne révolutionnaire » digne des clair-obscur de Georges de la Tour ou du Caravage, se déroule dans une sacristie vidée de tous ses objets de culte, remplacés par un buste de Marat. Michon affirme tendre dans ses romans à une forme d’« hypnose du lecteur », et il y parvient. Par ses effets de style, il brouille les pistes de la fiction et de la réalité. Il convoque Michelet et Géricault, le Louvre et ses notes explicatives, et convainc le lecteur de la réalité du roman. Mais attention, Michon peut se révéler maître de l’imposture, à notre plus grand plaisir. Les Onze brille d’un vocabulaire généreux, réjouit par les sonorités des phrases que l’on savoure comme autant de gourmandises. Michon ne nous fait pas seulement voir le tableau, il lui donne vie, et en esquisse bien d’autres qui nous font entendre jusqu’au froissement des étoffes.