Royaliste, 15 juin 2009, par Luc de Coustine
Les Onze
Chacun a plus ou moins en mémoire le tableau figurant les hommes du Comité de salut public qui instaurèrent la Terreur révolutionnaire en l’An II.
Ils étaient onze commissaires Billaud, Carnot, Prieur de la Marne, Prieur-Duvernois, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. On se souvient plus rarement du peintre du tableau : François-Élie Corentin, natif de Combleux sur la Loire, d’un père littérateur et d’un grand-père qui, sous Louvois, creusa et fit creuser le canal de Briare par ses Limousins de compatriotes. Quant au lieu où l’œuvre, seule en majesté, est exposée aujourd’hui, il suffit de se rendre au Louvre pour avoir l’occasion d’apprendre que, là précisément, au Pavillon de Flore dit de l’Égalité siégeait en 1794 le sordide comité.
Pierre Miction romancier a pris là rendez-vous avec l’Histoire ou plutôt le prophète de l’Histoire par excellence, Jules Michelet, qui a écrit douze pages d’exégèse à ce sujet – « qu’il exècre autant qu’il admire, dit Michon, parce que c’est une cène truquée, et non pas truquée par l’absence du Christ, dont il se souciait peu et même qui l’enchantait – non, truquée parce que l’âme collective qu’on y voit, ce n’est pas le Peuple, l’âme ineffable de 1789, c’est le retour du tyran global qui se donne pour le peuple. Pas onze apôtres, onze papes. »
N’était le talent de Michon, l’un des vrais écrivains de notre temps, on se demanderait ce qu’un romancier est venu faire dans cette galère. Mais justement, des gabares sillonnant la Loire de son enfance entre ses deux femmes-mères aux robes-paniers à l’atelier patriotique de David, membre surérogatoire du susdit comité et entrepreneur de peintures à sa gloire, le page Françoiszélie à boucles blondes échappé d’une toile de Tiepolo (même devenu sur le tard tout le portrait du cordonnier Simon), attendait cette commande pour entrer lui aussi dans l’Histoire.
La commande – parlons-en ou plutôt, laissons Michon-Michelet la dépeindre, s’inspirant d’une autre toile quasi gigogne, conservée au musée de Montargis : Corentin en ventôse reçoit l’ordre de peindre les Onze. Image fautive et truquée, elle aussi, mais qui trahit l’essence par nature fautive et truquée du récit historique dont il ne faut garder en vérité que la lancée prophétique. Ici, il est clair que cette commande artistique, faite clandestinement pour consacrer le triomphe imminent de Robespierre ou comploter inversement sa décapitation, est avant tout la preuve que la Révolution est échec : conjurant la tyrannie, elle l’a fait naître – et Dieu sait combien de fois sous nos yeux renaître – faute d’avoir honoré dans le Roi la majesté de l’Homme.
Cela, Michon ne le dit pas, mais la souveraineté de son écriture, procédant par recorsi à la Vico, fait plus que le suggérer. Toute la souffrance du sujet/citoyen rimant ici avec la masse martyrisée des aïeux limousins de Corentin hurle contre le ciel comme le sang aux mains de Macbeth joué par Collot d’Herbois sur les scènes de province puis de Collot Macbeth représentant en mission « à Lyon en novembre sur la plaine des Brotteaux où sur ses ordres on amenait devant des fosses ouvertes des hommes attachés par dix, par cent, et à dix mètres de ces hommes il y avait les bouches de canons chargés à mitraille, neuf canons de marine montés de Toulon par le fleuve… et Collot était là non pas en fraise élisabéthaine mais avec le chapeau à la nation, l’écharpe à la nation… », homme de gauche « acculé à des alliances de droite » par crainte de Maximilien…
Ce pourquoi il passa commande du tableau. Et ce pourquoi il faut aujourd’hui lire Les Onze.