Zurban, 6 novembre 2002, par Fabienne Jacob

Ceci est mon corps

Il est grand temps de se le dire une fois pour toutes. On a en France un véritable auteur, un grand auteur. Tout le monde ne le sait pas encore. Un sacré gaillard grandi au trou du cul du centre de la France, étangs et bois hirsutes. Il porte un drôle de nom qui, somme toute, lui va bien. Nom de sein, nom de pain : Michon. Des consonances de mère nourricière. Normal, avec lui on est dans le terrestre, dans le corps. Justement, il vient de livrer un Corps du roi. Un livre inclassable qui résiste sacrément à l’exercice convenu du résumé.

De quoi s’agit-il ? Peu importe le sujet. Cinq petites nouvelles pour cinq auteurs que le livre honore. Cinq auteurs admirés, à travers lesquels Michon fait entendre sa propre voix. Deux sont photographiés, Samuel Beckett et William Faulkner. Le premier, maigreur céleste et look roi Lear, « prend et allume un boyard blanc, gros module, il se le met au coin des lèvres, comme Bogart, comme Guevara, comme un métallo. Son œil de glace prend le photographe, le rejette. Noli me tangere. Les signes débordent. Le photographe déclenche. » Voilà, tout est dit. La littérature est là. Dans ce verbe juste, précis, qui se fiche droit au cœur, visant l’éternel, l’universel.

Plus encore, on aime quand l’auteur parle de lui, car au fond – ne nous leurrons pas – c’est de lui qu’il est question partout. Au chevet de sa mère morte, il essaie un Notre Père et c’est la Ballade des pendus qui lui vient aux lèvres. Ailleurs, un enfant lui naît dans la nuit et c’est Booz endormi, de Victor Hugo, qu’il récite. Type étrange, décidément, ce Michon qui prie dans la littérature. Le livre se ferme sur quelques superbes pages dédiées à la bibliothèque François-Mitterrand. « Je ne déteste pas cet endroit rude, dressé sur un champ de bataille au milieu d’un désert. Il prédispose au vide, au remuement amer des gros bouquins qu’on ne lira pas, aux alcools raides. » On vous l’avait dit, Michon a l’énergie brute de la langue qui vient du corps. Cela s’appelle la grâce.