Cultures France, 11 mai 2009, par Christophe Grossi
Quel effort il aura fallu à Pierre Michon pour écrire Les Onze ! Avec la matière qu’il avait, il aurait pu en faire une fresque historique sur fond d’espionnage ou une hagiographie. Mais c’est mal connaître l’auteur qui d’ailleurs s’amuse de la mode actuelle pour la généalogie. Non, au-delà de l’œuvre de Corentin, il sera ici fortement question de magie créatrice, du complexe œdipien, des sirènes qui empêchent de raconter l’histoire dans le bon sens, de curiosité intellectuelle, de poésie, de mauvais vin, de coucheries mais aussi d’insultes à Dieu, d’alliances et de traîtrises ou encore de la commande d’un tableau faite « avec les plus mauvaises intentions ». Et, une fois encore, en guide inspiré, l’auteur parvient à se faire se côtoyer les figures des Lumières et les vies minuscules, ces hommes qui travaillent dans la boue du canal près d’Orléans.
En deux parties, l’écrivain revient sur deux moments de la vie du peintre Corentin. On le découvre d’abord à dix ans, vrai petit tyran, entouré de sa mère et de sa grand-mère où pour se venger de l’absence du père (écrivain raté) il rend la vie difficile à ces deux femmes. Puis il devient vieux et laid. On est alors en 1794, en pleine Terreur, quand on lui passe commande d’un tableau : ses modèles seront les onze représentants du Comité du salut public (dix écrivains plus un, qu’on surnommait les « onze parricides », parmi lesquels Robespierre, Collot ou Carnot). Et c’est là qu’il réalisera l’un de ses chefs-d’œuvres et c’est là aussi, nous dit Michon, qu’il peindra onze fois son père, « onze fois la revanche irréelle de son père, la défaite réelle de son père, debout ».