La Croix, 29 juin 1997, par Didier Laroque
En très peu de pages, Pierre Michon nous offre des merveilles qui émeuvent plus qu’on ne sait dire. Lorsque la littérature peut à ce point redonner le monde et trouver la fameuse « étoffe dont les rêves sont faits », le commentaire est tout anéanti. Il cède à la gratitude.
[…] On ne lit pas là un langage littéraire. Quelque chose arrive. L’épaisseur tragique de la vie trouve un accès charnel de vérité. […] Le ton brusque, frémissant qui néglige les transitions et les facilités, montre des êtres vivants, ouverts aux sollicitations angoissantes et sensuelles, leur tourment, leur délivrance.
On admire et l’on envie l’incomparable manieur d’émotion qu’est Michon, la magnificence de ses accords colorés à dominante azur et sang, son sens des appétits forcenés, et comme la peine rencontre la grâce. L’une et l’autre sont ici sensiblement l’avers et le revers d’une identique médaille ; sans la peine, la grâce devrait cesser d’être ce qu’elle est. Cette unité intérieure prend la forme d’une énonciation : le recueil d’une nouvelle fait un peu un itinéraire entre la Tristesse de Columbkill, à qui les Psaumes refusent leur prestige parce qu’il a voulu posséder la forme d’un livre plus que son sens, et l’émerveillement d’une infinie douceur que connaît Édouard Martel, en s’accomplissant par la forme arrêtée de quelques mots.
Comment ne pas aimer un tel livre ? Les paroxysmes dans les situations, le don d’évocation – la faculté de ressusciter les âges, très propre, on le sent, au désir de toucher –, l’éloquence, une sorte d’imagination espagnole, chatoyante et fiévreuse, sensuelle et spirituelle en une perpétuelle oscillation où se goûte le mystère de la dualité unie de l’être : tout cela nous transmet une belle ardeur, une appétence extrême de vie. Entendons bien, Pierre Michon dit ce que nous désirons : la bête fauve, l’Esprit, l’Incarnation.