La Montagne, 19 avril 2009, par Daniel Martin

Pierre Michon : Illusion d’optique

L’art du portrait, l’Histoire, le pouvoir, la tradition, le père absent : tout Michon en un roman. Majeur.

Les Onze est un vieux projet de Pierre Michon. Comme on l’apprend en lisant Le roi vient quand il veut (Albin Michel), ce remarquable livre d’entretiens.

« Il a été commencé en 1993, il ne sera jamais fini », se désespérait-il en 2004. Quelques années plus tôt, il disait travailler « à cette grande machine, à propos de 1793 […] où ce que j’essaye d’affronter, c’est le nœud des arts et de la politique, l’éclipse de Dieu, le meurtre du père et le massacre réciproque des fils, et l’impuissance des arts à en rendre compte ». En faisant « advenir » historiquement quelque chose qui n’est pas advenu ». Soit un tableau représentant les membres du Comité de salut public, instaurateur de la Terreur. Une œuvre qui serait assez fameuse pour rivaliser avec La Joconde, au Louvre.

Il a gardé ce cadre et les grandes intentions. Mais glissé un autoportrait. Le peintre de ce tableau est le grand Corentin, qui eut son heure. Déjà âgé aux temps révolutionnaires, il survit en travaillant pour David, qu’il n’aime guère. Lui qui est né dans la boue des provinces, qui a été élevée par des femmes, en l’absence du père – ce « rival éclipsé » est nourri de tout ce qui fut peint avant lui. Tradition qu’il perpétue et rénove.

Un savoir qui lui est bien utile quand on lui passe cette commande et que se pose à lui la délicate question de la représentation des Représentants dont l’avenir est toujours incertain. Question qu’il résout en rusant, en déjouant la grossièreté du temps, les faux-semblants. En rit.