La Quinzaine littéraire, 16 juin 1997, par Michel Cardoze

Nimeño I, Nimeño II, et retour

Peu connaissent le roman des origines de ce duo de toreros, artistes tueurs de taureaux (matador, celui qui tue). C’est Alain Montcouquiol, l’ex-Nimeño I, le frère aîné, qui a pris une plume comme naguère l’épée et le leurre rouge, pour dire sur papier blanc le destin de son petit frère. Ce faisant, c’est le sien qu’il dévoile et c’est par là que ce livre touche. Un peu comme une faena dessinée sans tricherie sur l’ocre des arènes révèle, à tous, des vérités incongrues sur le courage et les plaisirs des uns et des autres, placés qu’ils sont dans une proximité troublante, réelle ou projetée, de la mort.

Christian Montcouquiol, Nimeño II dans les années soixante-dix et quatre-vingt, a été le torero français que la planète taurine hispano-américaine a aimé et fêté. Le sud de la France a connu cet orgueil inattendu de donner à ce monde jaloux une étoile en vraie grandeur. Nimeño II sera pris par un taureau le 10 septembre 1989, à Arles. C’est la 128e corrida de Nimeño II depuis son alternative, en 1977. Chute sur les cervicales, réanimation, opération, rééducation : paralysie. Deux années plus tard, Christian Montcouquiol désespérant de redevenir un jour Nimeño II, se tue.

Alain Montcouquiol, le grand frère, l’ancien Nimeño I, celui par qui et grâce à l’effacement duquel Nimeño II a vécu, puis est mort, raconte et se révèle à lui-même probablement, que le héros disparu le fut à sa place. Car Alain appartient à une précédente génération, disons celle de 68, de toreros français. Avec Alain Montcouquiol, Bernard Dombs, qui deviendra Simon Casas, directeur d’arènes et commentateur de course. Le récit des origines est celui d’une quête acharnée de légitimité taurine, la faim, la route, les pensions, l’isolement, les lectures, de Rimbaud à Genet et Lautréamont, et les discussions échevelées entre les Français qui rêvent de l’instant où ils se placeront devant le taureau, sans tricher. Et qui passent à l’acte jusque dans de féroces capeas de villages, goyesques mais sans duchesse.

Leurs lendemains porteront le nom de Nimeño II. Pendant qu’Alain l’aîné, apprenait les gestes dans la poussière nîmoise, puis les essayait – pour de vrai – dans une Espagne qui paraît aujourd’hui très très lointaine, le petit Christian, porté par une sorte de grâce, promit, avec les neuf années de décalage dues à son âge, de devenir rapidement celui que tous, ceux de 68, rêvent un jour d’être. En 1974, Alain, dix ans après son premier taureau, change de trajectoire : il abandonne sa carrière et se consacre à celle, juste commencée entre Saint-Gilles et Vauvert, de Christian, devenu Nimeño II.

L’aîné ne nous brosse pas le récit d’une « carrière ». Son propos est celui d’une passion et d’une mise en gloire : car la peur de la blessure, de l’accident mortel, du passage fatal, est obsédante pour tous les protagonistes de ces interminables aventures d’hôtels, de routes, d’arènes, de bétail, de spectacles, de jouissance et de honte devant le public. « Recouvre-le de lumière » : Alain avait entendu cette phrase au Mexique et dès les premières nuits auprès du corps disloqué de son frère Christian, il ne cessa de penser à ce désir, à ce besoin, à ce geste vital pour lui-même. Il vient de l’accomplir.

Ce livre est publié dans l’excellente collection « Faenas » (Camilo José Cela, Dominguin, etc.) dirigée chez Verdier par Jean-Michel Mariou, celui de « Zazie », l’émission de télévision sur les livres, ceux qui les écrivent et les lisent, diffusée par France 3. Il n’y a peut-être pas de hasards.