Le Figaro, 30 juillet 1997, par Emmanuel Schwartzenberg
Les confidences d’un seigneur de l’arène
En tauromachie, les toreros se scindent en deux familles, celle des gladiateurs et celle des artistes. Dans ce dernier groupe, la démonstration de force cède le pas à l’imagination et tout est affaire de suggestion.
L’art de ces matadors d’exception consiste à retenir la charge du taureau et à n’effectuer que des gestes indispensables. Le tout en prenant place sur un minimum d’espace.
En littérature tauromachique, ce genre particulier avait, pour ce qui concerne les œuvres françaises, été peu exploité jusqu’à la parution de l’ouvrage d’Alain Montcouquiol Recouvre-le de lumière.
Jusque-là, ta dithyrambe et l’emphase, de Montherlant à Jean Cau en passant par Théophile Gautier, Mérimée, Hemingway, avait été une constante. Il était impossible pour ne pas dire proscrit de parler de tauromachie si l’on avait recours à un vocabulaire choisi et si l’on ne cédait pas à un lyrisme quelquefois outrancier.
Témoin privilégié des trente dernières années de la tauromachie française, comme torero d’abord sous le nom de Nimeño, comme impresario de son frère Christian ensuite, Alain Montcouquiol arpente un terrain jusqu’alors inconnu de ce type de littérature, celui de la retenue et de la pudeur.
Ayant arpenté les deux côtés de la barrière, le sable des arènes et celui de la contrepiste, Alain Montcouquiol n’avait, il est vrai, nul besoin de forcer le trait pour être crédible.
Homme de pudeur et de respect. Nimeño I a préféré garder sous sa plume les mots et les expressions qui l’auraient conduit à salir les acteurs de ce culte célébré dans le sud de la France. Nous ne saurons rien de son jugement sur les impresarios ou sur les directeurs d’arènes et sur ceux qui, de près ou de loin, sont davantage guidés par l’appât du gain que par l’esprit de sacrifice des toreros.
Alain Montcouquiol n’écrit pas ce qu’il pense et, derrière chaque mot, le lecteur averti comble le vide des espaces blancs. Il ne règle pas ses comptes, un mot qui, quel que soit son acception, a du mal à rentrer dans son vocabulaire.
Mais si la discrétion domine cet ouvrage, ses souvenirs d’adolescence apparaissent comme autant de moments de tendresse.
Les barreaux des arènes de Nîmes, qu’il écarte avec son frère Christian pour s’y rendre les jours de corridas ramènent à la part de rêve de ces deux adolescents qui se croyaient invincibles. Et il fallait se croire invulnérable pour interpréter « pour de vrai » La Capitale du monde, cette nouvelle d’Hemingway où des gamins attachent des poignards aux barreaux des chaises afin de jouer au toro et au torero. Quitte à s’entailler profondément le genou.
L’aspect le plus poignant de ce récit restera le long séjour à Madrid où, apprenti torero en compagnie de Bernard Dombs, celui qui se fera connaître sous le nom de Simon Casas, Alain Montcouquiol parie des « odeurs qu’on mastique » et vend son sang pour manger. Un exercice qui poussera Alain Montcouquiol à boire de l’eau pour avoir le bon poids.
Pointant du doigt ses relations avec Simon Casas sans expliciter la cause d’une amitié ternie, Alain Montcouquiol dit de lui : « Le succès de Christian pesa toujours dans nos relations. La fin du torero Casas a coïncidé avec l’avènement de Nimeño. Nos rêves avaient cessé d’être les mêmes. »
Et lorsque la rumeur laissera croire que son frère gravement blessé briguait la direction des arènes de Nîmes, il écrira à propos du même Casas : « Comment a-t-il été possible que tant de désespoir avoué ait pu être interprété par les uns comme une menace, par les autres comme une heureuse prise de conscience ? »
Jackie Brunet, Lucien Orlewski dit Chinito, tous les espoirs da la tauromachie française auxquels Nimeño I fait référence auront payé d’un lourd tribut cette folle espérance de devenir un torero qui fasse jeu égal avec les Espagnols. Et ce sont des gens comme Manolo Chopera, le célèbre impresario, ou Antonio Ordonez qui feront preuve de générosité à leur égard.
La carrière de Christian Montcouquiol Nimeño II est vécue par les toreros français comme étant la leur. Quand Christian déclare à Alain : « Je t’offre cette alternative parce que c’est aussi la tienne », c’est, en fait, à tous les toreros français qu’il la donne.
Aussi, quand un taureau de Miura met fin en septembre 1989 à cette belle espérance, entraînant le suicide de Nimeño II, c’est toute la tauromachie française qui se sent orpheline… « L’adieu au rêve fini par prendre la forme d’une mutilation », écrit simplement Alain Montcouquiol.
Durement frappé, Nimeño I aura du mal à reprendre le cours naturel d’une vie que son frère Christian accomplissait par procuration.
Ayant fait l’effort de se rééduquer, il parachève cette démarche en signant cet ouvrage.