Le Monde, 9 janvier 1998, par Jean-Louis Perrier
Les reflets lumineux de Bertolucci
Le matin, au printemps, le soleil est « puissant et libre ». À midi, en été, règne l’« heure impie ». Seuls, les reflets hivernaux apportent leur substance à la poésie d’Attilio Bertolucci (86 ans). Le crépuscule n’est pas une fin, celle du jour, mais une manifestation de sa souveraineté, jamais plus assurée que dans la brièveté de janvier. Il est un moment étale, où la nature et les hommes « emmagasinent » la lumière. Chez ce poète des saisons et des jours, la rusticité est recours. Même Rome (« un champ moissonné ») s’y soumet. Cet élégiaque pratique la mélancolie, non pour s’y abandonner, mais comme résistance à l’anéantissement. La lumière vespérale est « bénéfique », comme l’amour : « Une richesse qui offense, un privilège indéfendable. »
Les poèmes rassemblés ici, écrits entre 1950 et les années soixante-dix, sont chargés de fleurs et de fruits par dizaines. Les pages les plus émouvantes reflètent une floraison toute particulière : celle des fils du poète, Giuseppe et Bernardo, qui deviendront les cinéastes que l’on connaît. Au premier, son « pèlerin » qui le sauve « de l’ignominie de vivre », Attilio Bertolucci avoue toute la violence de l’amour paternel.
Pour le second, à qui il vient d’offrir sa première caméra, il commande : « Laissez l’art prendre/de ces revanches soudaines mais justes / sur la vie. » Un affrontement dont chacun de ses textes offre la trace vive.