Lire, novembre 1997, par Claude-Michel Cluny

Voyage d’hiver réunit l’œuvre médiane d’Attilio Bertolucci, les pièces écrites entre 1955 et la fin des années soixante. Médiane moins par sa place entre les deux autres grands livres, dont le dernier seul est traduit (La Chambre, chez le même éditeur), que par le fait qu’on y retrouve, comme en gerbe, les thèmes essentiels au poète de Parme, « ville aimée, peuplée de vivants/et de morts qui s’attardent » – ville « du sang et de la mémoire enfantine/dont se nourrit et se colore le moindre fruit ».

Né en 1911, Bertolucci appartient à la « troisième génération » des modernes, selon le mode de répartition de la critique italienne. Il ne sera pas retenu par « l’hermétisme ». Surtout, il confiera à une poésie de nature discursive, et sans jamais revenir sur son choix, la traduction d’une inquiétude émerveillée. Nous pouvons voir dans l’instantané des deux jeunes pêcheurs les fils du poète ; mais aussi la réfraction dans son regard d’une mémoire future. Le courant des années se pare de tout ce qui est éphémère.

Il écrit, parallèlement, La Chambre, « roman familial en vers » dont quelques fragments « exclus » figurent ici. La cohérence est indéniable. L’approche – et toute communion – est sensorielle, et nous rappelle La Stratégie de l’araignée de son fils cinéaste Bernardo ; chaque mot, chaque vers capte l’éveil d’une plante, la tiédeur d’une pluie d’été, le mystère de la vie qui nous ôte les réponses à mesure que les interrogations renaissent.

 

Les pêcheurs

Avez-vous vu deux frères, l’un
de quinze ans, l’autre de dix, le long
du fleuve, occupé le premier à pêcher,
le second à l’aider avec patience
et joie ? Le soleil de l’après-midi colore
leurs visages aussi semblables et différents
que sur une plante deux feuilles entre
elles, ou deux violettes sur la terre.
Oh ! si elle durait éternellement cette
matinée qui les révèle et les masque
alors que vagabonde le courant tranquille
et qui aujourd’hui les unit quand un silence
s’éternise entre eux et les oppresse au point
qu’ils se cherchent d’une même voix et se trouvent,
membres intacts, cœurs intacts, branches
que la plante retient étroitement.