Luxemburger Wort, 26 juin 1997, par Alain Bertrand

S’il est vrai, comme le rappelle Proust, que la lecture et l’écriture ouvrent la conscience à la spiritualité sans pour autant s’identifier à elle, Pierre Michon est un homme déchiré. Il appartient à cette famille étroite mais précieuse des écrivains à cheval entre littérature et esprit. Baignant dans le tumulte des mots, aspirant à un absolu qui se voile, aux prises avec une conscience mystérieusement obscurcie, l’auteur des Vies minuscules arpente dans [ce livre] les chemins d’une foi rude, bousculée et interrogative. […]

C’est bien la brûlure de l’absolu, dans son mystère inaltérable, qui incendie ces pages et retourne le lecteur. […] Se déploie dans une prose dense, toute de musique et de heurts, d’âpreté et de rythme, le dessein de rendre sensible le mystère des mots et de Dieu. Lequel prend chez Michon, le visage du désespoir et de l’espérance.

Le paradoxe n’est qu’apparent, car il ne fait point de doute qu’au regard de la source noire qui l’anime et du sentiment d’indignité qui le hante, les voies empruntées par Michon, dans la solitude, une angoisse dont on n’a pas idée, passent par l’espérance d’une rédemption. Au gré de l’écriture et, peut-être, du silence habité totalement par le désir de la Source. Au cœur des livres de mémoire proposés à notre méditation par Pierre Michon, il y a, littéraire et métaphysique, la question de la résurrection des morts. De ses morts à lui, de sa mort intime.