Planète corrida, mai 2008, par Pierre-Albert Blain
[…] Deux cent soixante‑six pages pour converser sur un fond exemplaire des codes et mots de la tauromachie. Zumbiehl décortique, analyse et met en perspective le fondement même du discours taurin, souvent palabre, parfois délire, quelquefois pure poésie à travers sa propre aventure de quarante années, cette immersion dans le petit monde d’Espagne, de France et du Mexique. « La parole offre à l’étude une matière plus riche et consistante que le déroulement de l’action », note‑t-il. Il y a du Saint‑Simon là‑dedans et une vertu majeure à ne rien céder à la démarche rimbaldienne de la tauromachie et de ses hérauts et donc de leurs mots. En vingt‑quatre chapitres François Zumbiehl détermine la relation du torero à son propre langage. De l’art et la technique, qui ouvre le livre, à Curro Romero, forcément indispensable, du temple à l’inné dans le toreo, de la pureté ou l’impureté de l’émotion au plaisir de la jerga, cette langue obscure du toro, obscure aux béotiens, plaisir gourmet des impétrants, code relationnel des membres de l’Église. Cet ouvrage porté également par la grande qualité littéraire de son auteur et par sa connaissance encyclopédique est au fond un voyage introspectif dans le moi aficionado par l’entremise du langage. En exergue, Zumbiehl de citer Angel Luis Bienvenida : « C’est là que se font les grands toreros, dans les conversations. »
La torería naît de cela, des conversations. Pour ne faire allusion qu’à un chapitre du livre : « L’esthétique de la mesure et la dissonance » et donner ainsi un goût partiel et partial de l’ouvrage, de citer in extenso : « L’esthétique tauromachique est difficile à envisager isolément, séparée de la lidia, car elle repose essentiellement sur le contraste entre la brusquerie de la charge et la douceur que lui oppose l’homme pour la tempérer. Tout se joue dans cette sorte de contrepoint dont on parle en termes généraux, ou dont les multiples facettes sont déclinées… J’étais la tempérance, et lui, la brusquerie, dit simplement d’un de ses opposants Andrès Vázquez. » Et Zumbiehl de continuer ainsi et de développer mêlant la contribution au thème en en appelant témoins et commentateurs patentés, Antonio Sivianes Florencio, le président de la peña, Curro Romero de Camas, Maria Bollain, aficionada référente madrilène, et une foultitude d’autres, se reportant aussi, et dans quels termes !, au « Spasme de Triana », le mythe Belmonte, qui, dit‑il « prend la forme d’un oxymore ». Et de conclure le chapitre sur les oppositions de nature entre la quête de la grâce et les contingences du genre par cette belle apostrophe d’Ordóñez : « Parfois l’œuvre vous absorbe tellement que le temps ne s’écoule pas. L’avis me paraît une absurdité. Imposer une mesure à l’art relève de la schizophrénie. » […]