Semana Grande, 5 mai 1997
Vingt ans après
Le 28 mai prochain, il y aura vingt ans que Christian Montcouquiol « Nimeño II » prenait l’alternative. Cette corrida historique eut lieu à Nîmes un samedi à 16 h 15. Le nouveau matador portait un costume vert bouteille et or, son parrain Angel Teruel était en noir et or, Manzanares en gris tourterelle et or. Chacun coupa deux oreilles. Teruel les deux de son premier, Manzanores les deux du cinquième après une faena de rêve et Christian l’oreille de chacun de ses adversaires, dont celle du toro de la cérémonie, « Elegante », nº 60, burraco, 490 kg, de Torrestrella, après un spectaculaire accrochage. L’amphithéâtre était comble et la feria de Nîmes connut ce jour-là l’un de ses sommets, même si les cornes des pupilles de Don Alvarisimo Domecq donnèrent lieu aux habituelles polémiques. Rien de bien nouveau sous le soleil.
Jamais un Français n’avait pris l’alternative dans de telles conditions. Nimeño était le novillero vedette du moment. Premier du classement en 1976, ayant triomphé dans toutes les grandes arènes – Madrid, Barcelone, Pampelune, Bilbao, Valencia – il fut même à l’initiative d’une première à Séville en avril 1977 avec une novillada, organisée autour de sa présence le matin du dernier samedi de feria. Jamais un torero français n’aura autant intéressé les Espagnols, puisqu’il avait comme manager ni plus ni moins que Manolo Chopera. Nimeño II est à la fois la grande fierté et l’inguérissable blessure de l’afición française. Des centaines de jeunes se sont attachés à son étoile et ont découvert une vocation, un métier, une raison de vivre : torero !
L’alternative, la carrière, la vie, l’absence de Christian, on va en parler avec beaucoup d’émotion pendant tout ce mois de mai. Mais pour raconter Nimeño II, il n’y avait que Nimeño I. Coïncidant avec cet anniversaire, Alain Montcouquiol vient de publier un livre magnifique, poignant recueil de souvenirs, sorte d’autobiographie à quatre mains sur le chemin d’une même vie qui se lit d’un trait et dont on sort le cœur glacé et les yeux rêveurs. La mort y plane d’une page à l’autre, qu’on la subisse, qu’on l’observe ou qu’on la donne. C’est aussi toute l’aventure des toreros français qui s’y trouve résumée, des mille et une façons de survivre sans munitions dans le Madrid des années soixante aux premières écoles taurines de la garrigue nîmoise. Le 28 mai 1977, Christian a offert son toro d’alternative à Alain : « Cette alternative, c’est aussi la tienne… » C’était plus que cela. C’était un sacre et un tournant dans l’histoire taurine de notre pays.