Encres de Loire, hiver 2012-2013, par Huguette Hérin-Travers

« L’idée du livre est d’inventer un dieu […]. Comme si les Cards étaient Delphes ».

Pierre Michon, qui vit aujourd’hui à Nantes, ne craint pas les oracles ; sa propre naissance est pour lui à l’origine de la catastrophe qui a si longtemps affecté la demeure de ses ancêtres. Perdue dans les bois, aussi inexpugnable qu’un remords, « la maison est devenue […] la stèle de mes échecs », dit-il ; c’est pourtant par l’écriture qu’il en aura entamé la renaissance… Une consolidation est advenue par la grâce et la force des mots inscrits dans les Vies minuscules. L’idée du livre, c’est aussi un déchiffrement conduit par la photographe Anne-Lise Broyer réalisant « des images autour de la maison des Cards », maison qui d’emblée ne se laisse pas ouvrir. Alors l’artiste en a subtilement arpenté les abords, s’immisçant dans les brumes, les broussailles, comme entre des signes, et a ponctué ses découvertes de taches vermillon, allusives et rebelles. La photographie et l’écriture en connivence, pour une exploration sensible de ce lieu d’enfance et « un émerveillement perpétuel ». Puis viendra le temps « d’attente du texte et des morts ». Délabrée, la maison restera « une enclave de merveilleux et de sauvagerie ». Fermée l’hiver, elle « devient aussi irréelle qu’une page écrite ». Le besoin impérieux « de garder jalousement un mirage » n’a pas faibli, et a nourri une écriture envoûtante : « On fait du liturgique avec ce que l’on peut » ; alors s’invente une mythologie à la mesure d’un chemin creux, d’une étrange cheminée, d’un conte païen réveillant les hantises de deux paysans inapaisés et ce magnifique thème d’un proverbe sibérien : « Le chant du coucou est le cri de la mère morte ». L’écho s’y survit à demeure.