La Quinzaine littéraire, 1er octobre 2005, par Anne Thébaud

Dans ce premier roman, Christophe Pradeau s’attache à rendre l’enfance, avec ses peurs et les histoires que l’on se raconte pour échapper à la nausée des voyages en voiture. Sur le trajet du retour, suite à la visite dominicale chez la grand-mère à Lubersac, le narrateur fait resurgir du passé la complicité avec sa sœur Florence. Au détour d’un détail du paysage ou d’un nom, c’est toute la famille qui revit, le voisinage, les fêtes du village, la cueillette des champignons, les récits des uns et des autres. Un sens très précis de la géographie et de l’histoire locales ancre la narration dans un temps collectif ou mythique ; les souvenirs de l’hiver de 1879 ou des Croisades alternent avec les histoires de trésor ou de Grande Ourse qu’on raconte aux enfants au coucher. Les dangers de la route prise par temps de brouillard ouvrent sur d’autres terreurs, celle de monstres et de bouche des Enfers.

Le récit progresse par boucles et infimes digressions, l’angoisse du voyage en rappelle d’autres, éternelles interrogations du début et de la fin, des origines et de l’identité. Christophe Pradeau excelle à dire l’enfance et ses rites, à partir de ces petits riens infiniment justes de la perception qui suscitent un monde de rêveries, de légendes ou de questions métaphysiques. L’évocation d’un lieu aussi bien que la description d’un lustre ou du ruban attrape-mouches contribuent à rendre le monde présent. On peut cependant regretter que la seconde partie du livre soit plus linéaire, s’égare dans les aventures de Sédulius et de ses compagnons, mêlant l’Empire romain et les ptérodactyles de l’âge préhistorique. Ce récit en abyme rompt le fil vagabond du récit principal, s’enfonce dans un dédale imaginaire qui décroche du terreau régional qui formait un fondu où se mêlaient indistinctement souvenirs, légendes et lambeaux de savoir historique. Quoi qu’il en soit, la chute énigmatique du récit et la qualité d’écriture de Christophe Pradeau rendent le lecteur curieux de la suite car il y a là les signes d’une réelle sensibilité et d’un timbre de voix singulier.