Le Monde des livres, 30 novembre 2012, par Catherine Simon
Fous et gueux
Publié en 1990, au Maroc – où il fut fort mal diffusé –, L’Hôpital, récit flamboyant « en noir et blanc » d’Ahmed Bouanani (1938-2011), était devenu introuvable. Méconnu dans son propre pays et quasi inconnu en France, cet écrivain et cinéaste, dont quelques articles (sur la littérature orale, notamment) ont été publiés, à la fin des années 1960, dans la mythique revue Souffles, a laissé derrière lui une œuvre disparate, encore largement inédite. L’Hôpital tient du documentaire autant que du poème en prose. Bouanani l’a écrit après un séjour dans un hôpital pour tuberculeux. Transposé dans un asile psychiatrique, ce bref récit se présente comme le journal de bord d’un aliéné, écrivain enfermé aux côtés du Litron, du Corsaire, de OK, du Pet et du jeune Argane, tous pensionnaires hallucinés, avec « une mouche bleue dans le citron » et des délires à la Antonin Artaud. On y parle cru et dru, tout le monde – Dieu et ses saints compris – en prenant pour son grade. L’Hôpital parle du Maroc, de ses fous et de ses gueux. Ce texte rare, daté et fulgurant, réussit à se transformer en une « fable universelle sur l’enfermement et la résistance », comme l’explique justement, en postface, David Ruffel. Ce qu’on appelle un livre culte.