Le Point, 3 mars 2005, par Valérie Marin La Meslée
Les derniers mots de Biamonti
Elixir de littérature… Voilà ce que renferme ce petit livre composé des vingt-neuf pages du roman auquel travaillait Francesco Biamonti avant de mourir, et de deux entretiens avec cet immense écrivain italien disparu en octobre 2001. En quatre livres, publiés à partir de l’âge de 50 ans, Biamonti avait imposé la superbe économie de son style, mais, par la force des choses, ce fragment intitulé Le Silence atteint un paroxysme dans sa manière essentielle d’inscrire les personnages au cœur des paysages de Ligurie, cette région autour de Gênes où il vivait, matière première, bien au-delà d’un décor, de son œuvre.
Un homme est abordé par une femme qui se promène en cueillant des angéliques. Edoardo est un marin solitaire, de retour sur sa terre après quarante ans en mer. La belle Lisa, veuve d’un militant mort pour ses idées, est installée au village chez son amie, la fragile Hélène. Devant l’horizon marin, ces deux êtres tâtonnent pour se connaître, jaugeant leurs limites. En ces lieux, le temps semble être revenu à la vie simple, « faite d’intériorité et de silence ». La relation du couple suit la densité des variations du paysage, implose en si peu de mots que l’on retient les pages… La respiration entre chaque phrase de leur dialogue, le mouvement de la pensée jusqu’à son expression elliptique, rien n’est transcrit qui ne relève de la quintessence.
« Je crois qu’on doit fonder tout roman sur le songe dont parle Valéry dans “Le cimetière marin” : comme si la réalité brutale avait été rêvée par un homme seul cherchant à circonscrire le silence. La parole doit être laconique et poétique en même temps », confiait Francesco Biamonti à Bernard Simeone au cours de leur magnifique entretien, comme s’il décrivait justement ce dernier livre. Il nous arrive aujourd’hui comme un cadeau posthume à inscrire dans la grande histoire de la littérature universelle.