Le Temps, 13 mars 2010, par Eleonore Sulser
Christophe Pradeau explore la grande sauvagerie
À la fois chronique paysanne et roman d’aventures, La Grande Sauvagerie est un texte déroutant et jubilatoire qui débusque l’inquiétant au creux du familier, et l’exotisme dans le connu.
Dès les premières phrases, c’est une avalanche de mots, d’adjectifs, de termes précis, précieux, joueurs. Ils se bousculent et donnent d’emblée une impression touffue, dense, luxuriante. La phrase de Christophe Pradeau emprunte volontiers d’ailleurs, ici ou là, des formules aux poètes et aux conteurs classiques. Dans ce texte, « des sœurs Anne scrutent avec inquiétude le suspens du haut des tours abolies ».
Mais on aurait tort de se formaliser de ce style si particulier. Il vaut la peine de s’y acclimater et d’avancer dans ce roman étonnant, très éloigné des thèmes habituellement ressassés par les romans contemporains. L’histoire prend ses racines en province, dans un village limousin imaginaire, où Thérèse, la narratrice, vit une enfance peuplée de mystères qu’elle s’efforcera sa vie durant de décrypter. Et cette exploration des racines l’amènera jusqu’au bout du monde et d’elle-même.
Christophe Pradeau, évitant tout pittoresque, installe l’étrangeté, l’exotique, l’improbable au cœur même du familier. La Grande Sauvagerie n’est pas qu’un titre. Elle est aussi un terme, qui jadis a désigné l’inconnu – cet Ouest canadien encore inexploré à l’époque des pionniers – ; elle se dissimule aussi dans les lieux apparemment les plus anodins. Roman d’une vie, roman d’apprentissage et de découverte, La Grande Sauvagerie ne ressemble à rien. Il s’ouvre sur une chronique paysanne, pour virer au roman d’aventure, puis à la saga familiale et s’achève en roman policier.