Libération, 19 octobre 2001, par Jean-Baptiste Marongiu

Dans ses romans comme dans la vie, Francesco Biamonti s’est tenu à cette « ligne ligurienne » qui consiste à parler de soi en parlant des choses, à dessiner son propre portrait à travers la nature, comme l’un de ces paysages en mouvement, entre mer et montagne, qui l’avaient vu naître. D’ailleurs, il ne s’est jamais éloigné pour longtemps de chez lui, San Biagio della Cima, le village dans les hauteurs de Bordighera, où il vient de s’éteindre mercredi 17 octobre, après une longue maladie. Il avait 68 ans.

Légende. En Ligurie, on est ou marin ou paysan. Son frère étant devenu capitaine dans la marine marchande, il ne restait à Francesco que la terre, ou presque. Longtemps en effet, on l’a cru cultivateur de mimosas, sur le lopin de terre hérité de son père avec l’étable du mulet et le moulin à huile. C’était une exagération, pratiquement une légende, dont il n’était pas à l’origine, mais qu’il se plaisait à ne pas démentir. Plus prosaïquement (et gagnant beaucoup moins qu’un cultivateur de mimosas), Francesco Biamonti a travaillé à la bibliothèque publique de Ventimille jusqu’à ce que le succès des premiers romans ne lui permette de revenir au village pour lire et écrire, n’en sortant que rarement, à l’occasion de la présentation d’un nouveau livre.

Francesco Biamonti débute sa carrière très tard en 1981, à 54 ans, en publiant L’Ange d’Avrigue (Verdier, 1990). C’est sa deuxième tentative chez Einaudi. Italo Calvino, responsable de la littérature dans la maison turinoise, est enthousiaste. Les choses s’étaient en revanche très mal passées vingt ans auparavant avec Elio Vittorini qui avait refusé un roman envoyé par le jeune Biamonti, car les personnages lui paraissaient trop torturés, trop existentialistes, comme on disait, et il voulait qu’on change la fin trop pessimiste. Loin d’obtempérer, l’aspirant écrivain ira chercher chez les philosophes les arguments pour justifier sa vision inquiète du monde et de l’homme. Il lit et relit Sartre, Merleau-Ponty, Husserl, Heidegger… Poètes et romanciers, il ne les avait jamais délaissés depuis qu’enfant il avait trouvé chez un bouquiniste un exemplaire des Fleurs du mal.

L’apparaître. C’est finalement la phénoménologie qui le met sur le chemin d’une poétique de l’apparaître, où la lumière, sa lumière méditerranéenne, devient la matière même de la manifestation de toutes choses – les êtres humains, les animaux, les plantes et la terre qui les accueille. Trois romans suivront, tous traduits en français (Vent largue, Verdier, 1993, Attente sur la mer, Seuil, 1996, les Paroles la nuit, Seuil, 1999).

Francesco Biamonti avait une belle voix basse, un regard clair et, dernièrement, avait du mal à se départir d’une douce mélancolie (cf. Libération du 10 octobre 1999) : « Au XIXe siècle, on avait la sensation que le mouvement du temps était positif, qu’il y avait un progrès. Dans Guerre et paix, même au milieu des massacres, des blessures et du sang, on ressent que le temps va vers le mieux. Notre siècle n’a plus cette certitude, l’espace et le temps sont malades et on vit comme dans un tremblement de solitude sur fond de désert alors que, comme disait Jabes, regarder les choses dans le désert, c’est déjà le voir mourir. »