Lire, décembre 2005, par Baptiste Liger

Accélération

Les enfants savent occuper les trajets en voiture. Pas seulement en se chamaillant. Chaque dimanche, Laurence et son frère reviennent de chez leur grand-mère. Leur aïeule leur a raconté ses souvenirs tout l’après-midi. Et les gamins, des histoires plein la tête, se plaisent à revivre ces anecdotes, au retour. D’en imaginer d’autres, et de deviner la vie de personnes réelles ou de monstres imaginaires, en observant le décor qui défile. Les paysages bougent dans le brouillard nocturne, et deviennent des formes abstraites, des fantômes. Un soir, alors que sa sœur dort à côté de lui, le narrateur sent que quelque chose se passe, sans pour autant trouver les mots pour le dire. Serait-il en train de percevoir le mécanisme du temps ? C’est ce qu’il tente de raconter, des années plus tard. Ainsi décrite, La Souterraine pourrait laisser imaginer une énième chronique de mélancolie terroir. Tout le talent de Christophe Pradeau, jeune professeur de littérature à Paris-XIII, tient dans l’instauration d’un climat de douce angoisse. Construit en très courts chapitres, le roman superpose les époques et les sensations, comme autant de digressions, avec une incroyable évidence. Les mots « hors d’âge » se marient au vocabulaire le plus simple, sans pour autant sonner faux. Au fur et à mesure, l’auteur mène son récit des plaines corréziennes jusqu’à nos terres intérieures, autant terrifiées par la brume que par certaines promesses. Le véhicule continue son chemin, phares allumés ou pas. À ce titre, La Souterraine confirme la belle idée tenue par Kevin Costner dans Un monde parfait : une voiture, c’est une machine à voyager dans le temps. Devant nous, c’est le futur ; dans le rétro, le passé. Et le présent se tient au volant. Question d’accélération.