Lire, février 2010, par Alexandre Fillon

Du Limousin à New Haven

Finement ciselé, le texte de Christophe Pradeau brasse les émotions avec les paysages. Un joli voyage.

Les éditions Verdier ont toujours pris le soin d’ouvrir leur catalogue de fiction à des auteurs aimant à travailler la langue en profondeur, de Michèle Desbordes à Pierre Bergounioux en passant par Pierre Michon. Belle découverte de la maison de Lagrasse, le premier roman de Christophe Pradeau, La Souterraine (2005), se lisait comme un fascinant tohu-bohu d’histoires naviguant entre le brouillard et le merveilleux. On retrouve toute la force et la musique de l’écriture si ouvragée de Pradeau dans un texte non moins réussi, La Grande Sauvagerie. Après quarante ans d’errance, Thérèse Gandalonie est revenue « au pays de Saint-Léonard », province française on l’on va à la chasse et aux champignons. Saint-Léonard, c’est un village haut perché dans une vallée de la campagne limousine. C’est là que l’héroïne et narratrice de Pradeau a grandi jusqu’à ses dix-huit ans. L’année où elle s’est portée volontaire pour le recensement du canton qu’elle sillonnait à bicyclette, filant à la rencontre de gens simples s’exprimant en patois, cette langue qui ne s’écrit pas. Thérèse a ensuite choisi de s’éloigner de la vallée de l’Auvézère en s’installant d’abord à Paris, « la ville des Noms ». Avant de parcourir le monde, de poser ses bagages en Patagonie, Albanie ou au Nordland. Dans une bibliothèque de New Haven, elle fut à nouveau confrontée à sa terre natale en mettant la main sur les douze petits carnets friables de cuir rouge qui constituent le Journal de Jean-François Rameau. Un peintre, cousin à la mode de Bretagne du grand Rameau, qui partit à l’aventure au Canada en 1757 avant de se perdre « into the wild », tel le protagoniste du récit de Jon Krakauer (10/18). Hasard de la vie, les descendants dudit Jean-François se trouvent être les Lambert qui possèdent La Grande Sauvagerie, le domaine coupé du bourg de Saint-Léonard par une faille. Thérèse plongera donc dans l’épopée des frères Lambert dont elle contemple la photo pour la première fois par une nuit de blizzard. Deux beaux jeunes gens représentés adossés à « la carrosserie luisante d’une Bugatti »…

Christophe Radeau a l’art de saisir la physionomie et le rayonnement de lieux qu’il nous donne à voir tant comme un peintre que comme un styliste à la plume virtuose. Lancinante réflexion sur la mémoire et les paysages qui nous façonnent, La Grande Sauvagerie continue tout le talent et la maîtrise de son auteur.