Livre et lire, mensuel du livre en Rhône-Alpes, avril 2005, par Vincent Raymond
Un silence éloquent
Pendant toute une vie, il avait mis en sommeil sa plume, mais pas son envie d’écrire. Francesco Biamonti (1928-2001) ne laisse que peu de romans, et l’entame d’un texte que Verdier publie inachevé. À la différence de ces (trop) nombreux fonds de tiroirs qui fleurissent comme des chrysanthèmes sur les tombes fraîches de leurs auteurs, Le Silence a fait l’objet d’une édition respectueuse, où le texte est complété par de précieux entretiens. Dans le premier, Biamonti jette quelques bases de son livre à venir ; dans le dernier, mené par Bernard Simeone, il laisse de côté l’immédiat pour considérer son œuvre, pour tenter de définir sa singularité créatrice.
Récit à jamais en suspens, Le Silence ainsi accompagné devient la voie d’accès naturelle à l’œuvre de Biamonti, pour qui souhaite la parcourir et découvrir son art, celui de l’épure, de l’essentiel : le mot s’impose comme une évidence. On perçoit de luttes secrètes et opiniâtres, la démarcation entre les deux territoires de la Ligurie : les paysages minéraux conquis de haute lutte par des végétaux, et la mer qui promet une ligne d’horizon sans jamais l’offrir. Où l’Homme peut-il se situer ? Toujours entre les deux, il ne sera nulle part à sa place. L’impossibilité de la construction, de l’installation le voue au mouvement sur la côte franco-italienne, frontière ténue. Est-ce un hasard si le texte est peuplé de ruines et de décombres ? Ce ne sont pas des vestiges humains, plutôt les traces d’une nature qui rappelle sa suprématie, et qu’elle est résolue à éroder l’orgueil de ceux qui auraient l’impudence de la défier sur son terrain face au Temps. Le Silence est donc le constat d’échec de l’être face à des forces qui le dépassent ; mais aussi la fragile coquille de protection du secret, le dernier lieu intime de l’individu. Partager un secret, ce n’est pas uniquement se mettre à nu, mais abandonner une part énorme de liberté au risque de jouer avec sa survie.
Dans l’une des ultimes phrases de son échange avec Simeone, phrase tout à fait cinglante et amère, Francesco Biamonti déplore une autre forme de silence, propre aux auteurs italiens : « Il n’y a jamais eu de dialogue entre écrivains, chacun est prisonnier de sa vision du monde. Le dialogue est toujours une dispute. Moi, je n’aime pas cela. […] Il y a ceux qui, comme moi, regardent la France, et ceux qui regardent l’Amérique, ou l’Allemagne… »