Olé !, 3 mars 2010, par Daniel Bégard
Verdier est l’un des rares éditeurs publiant des auteurs français qui se soucient encore de quelques fondamentaux de la langue. Christophe Pradeau, à l’évidence, est de ceux- là.
Invités à emboîter le pas dans le Limousin rural de Thérèse, son héroïne, nous comprenons vite, que les choses n’auront pas cette vertu fanée de l’authentique, que l’on prête, parce qu’ils s’en parent, aux écrivains régionalistes ; que les ailleurs, dont elle parle et rêve, sont moins derrière l’horizon, ou au coin du bois, que dans sa tête où ils se comptent, s’affrontent, mémoires, désirs, savoirs, enchantements et illusions, tous intimement mêlés. Mais notre intérêt viendra surtout de ce qu’il y a chez Pradeau de plus singulier, un charme qui, s’il n’est pas calculé, est au moins entretenu avec élégance, et toujours à propos.
Il naît, ce charme, de ces bagues phrases, rythmées, construites sur le juste usage d’une ponctuation rigoureuse, comme sur le dépaysement offert non seulement par ce qui tient au parcours, du Limousin et de son Avrézène au Saint-Laurent, mais aussi par cet imperceptible glissement de la langue qui peut se colorer d’une scansion particulière, celle qui appartient à nos cousins québécois, tout en leur venant, peut-être, du Limousin ! Charme aussi, d’une érudition à flot continu mais jamais gratuit en regard du récit : des lucioles aux coureurs de bois du XVIIIe siècle canadien, des négociants bourguignons aux établissements jésuites de Montréal, en passant par la vieille bourgeoisie parisienne ! Pour autant, cette écriture si particulière et cette ambition ont forcément un sens, et ce livre a aussi sa nécessité forte. On ne cite pas Chateaubriand « le moment où l’éphémère sort des eaux » sans raison ! À chacun de reconnaître, pour lui-même, l’émergence attendue.
L’occasion est devenue trop rare de rencontrer un livre offrant de tels plaisirs de lecture, pour le laisser passer. Recommandé donc.