Télérama, 20 mars 2010, par Nathalie Crom
Ni d’avant-garde ni classique, surtout pas anachronique, l’écriture intemporelle et envoûtante de Christophe Pradeau est la première, la meilleure des raisons de s’attacher à ce très beau roman. Ancré dans la campagne limousine, ses paysages vallonnés et ses mythologies, La Grande Sauvagerie n’a pourtant rien d’une fâcheuse ode au terroir : l’horizon y est grand ouvert, sur l’ailleurs, l’inconnu, l’avenir autant que le passé, d’autres paysages, réels ou rêvés, par-delà les mers et les siècles.
Thérèse Gandalonie a enjambé l’Atlantique : née et grandie dans les années 1950 à Saint-Léonard, village du Limousin que domine La Grande Sauvagerie, un ancien domaine seigneurial dont un gros rocher désormais perpétue le nom, Thérèse s’est envolée à l’âge adulte. Direction notamment la Nouvelle-Angleterre, où une carrière universitaire s’offre à elle. Et où la rattrapent un jour le passé, Saint-Léonard, l’enfance, ses paysages et ses sortilèges. Cela à travers la découverte du journal inédit d’un peintre-voyageur français du XVIIIe siècle, un nommé Jean-François Lambert, vague cousin de Rameau, installé à Montréal mais qui se trouve lui aussi lié à Saint-Léonard et à La Grande Sauvagerie.
Le roman met peu à peu au jour les connections géographiques, mais aussi symboliques, qui relient le peintre et Thérèse. L’enjeu de cette révélation a trait au passé tel qu’il survit dans le présent, au regard tel qu’il se porte sur les lieux pour en deviner et saisir le mystère – ainsi de Thérèse, enfant, levant les yeux vers les vestiges de La Grande Sauvagerie et les contemplant longuement, « comme s’il y avait quelque chose à déchiffrer que je ne distinguais pas, une histoire défaite, oubliée de tous, mais qui était là pourtant, en suspension, infusée dans le paysage ».