Le Monde, 7 septembre 1990, par René de Ceccatty

Dons Juans et pauvres gens

[…] Le Murmure des oliviers, écrit en 1955, un an après la mort de Brancati, est le deuxième roman de Bonaviri, qui avait trente et un ans. Le premier, Le Tailleur de la Grand-Rue (traduit par J.-M. Laclavetine, Fayard, 1989), donnait la parole au père de l’auteur et révélait, avec une sensibilité poétique qui se démarquait autant du « réalisme magique » que du néo-réalisme, les flux cosmiques qui parcourent les humbles.

La triste vie de Massaro Angelo

Plus tard, Bonaviri libérera sa fantaisie, se rapprochant même parfois de la science-fiction. Mais dans ses premiers livres, il reste très près des gens du peuple parmi lesquels il est né. Son univers poétique est cependant déjà en place. La triste vie de Massaro Angelo, pauvre métayer, qui lutte contre la sécheresse, n’est pas le sujet d’une saga naturaliste, loin de là.

Comme tous les personnages de Bonaviri, comme l’auteur lui-même, Angelo est un poète. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’il conçoit les événements de sa vie comme l’expression de forces qui dépassent l’humanité. Les nuages, les grenouilles, les hiboux parlent le même langage que les soldats qui reviennent de la guerre, tous conduits par une fatalité dont les hommes sont les témoins éblouis et accablés.

La mort qui hante ces pages n’est jamais tout à fait un élément négatif ou extérieur. C’est une divinité noire, bien sûr, mais compagne de la vie quotidienne des paysans.

Ce bref roman, qui rappelle les contes d’Alphonse Daudet et qui montre combien la Sicile est parfois cousine de la Provence est suivi de trois nouvelles « piémontaises » : encore ému par son exil dans le Nord, Bonaviri oppose à la pauvreté désespérée des agriculteurs de la région de Mineo le chômage des émigrés qui, la nuit venue, sentent, dans le froid glacial d’une pension turinoise, la mort les effleurer « comme des cercles rouges et des cercles blancs ».

Dans ses romans suivants, Bonaviri ajoutera à cette compassion vibrante un génie – sans doute typiquement sicilien, en effet, comme le disait Brancati – pour souligner et éclairer le mystère du monde.