L’Express, 24 février 1994, par Jean-Michel Gardair
Où finissent les collines les de Sienne, peignées comme des jardinets zen ? Où commencent les coteaux florentins, couronnés de vignes et de tours ? On éprouve d’abord, en lisant les récits de Bilenchi (1909-1989), un dépaysement dans des lieux familiers. Sa Toscane est à la fois hyperréaliste et imaginaire : ses lieux-dits ne sont pas nommés. La double appartenance de l’auteur, florentin d’origine siennoise, n’explique pas tout. Le vrai dépaysement est l’œuvre du temps : la Toscane d’avant guerre – hommes et paysage – ressemble moins à celle d’aujourd’hui qu’à celle de Dante et de Lorenzetti. La petite bourgeoisie, qui domine à travers les pages de Bilenchi, y est encore si proche du peuple des campagnes qu’à chaque guerre, à chaque épidémie, à chaque catastrophe naturelle elle renoue avec sa magie et ses peurs ancestrales. Dans ses récits les plus inspirés, qui sont les plus courts, Bilenchi pousse le dépaysement encore plus loin, jusqu’au séjour intemporel de l’enfance. Il a, pour évoquer, au seuil de l’adolescence, les désirs bafoués et la candeur bernée, des mots merveilleux et terribles.