Hétéroclite (Lyon, Saint-Étienne, Grenoble), nº 31, février 2009, par Renan Benyamina
Paru à l’occasion de la rentrée littéraire de septembre dernier, il est incompréhensible que L’Amant des morts se soit fait voler la vedette par La Meilleure Part des hommes de Tristan Garcia (agréable à lire cependant). Les deux livres ont pour point commun de parler du sida. Mais quelle délicatesse, quel lyrisme et quelle intelligence dans l’ouvrage de Mathieu Riboulet. C’est l’histoire d’une généalogie, celle d’un garçon sublime, incarnation du désir, de ses élans et de ses gouffres. Au commencement il y a le père, un ogre comme on en trouve chez Michel Tournier, dépositaire d’une énergie sexuelle sans limite qui s’abat sur des proies consentantes, de tous les âges, de tous les milieux et des deux sexes. Ainsi que sur son fils. Pas de condamnation ni de justification de cet inceste ; seulement la description d’un événement inévitable et de l’abandon de Jérôme. Plus qu’un fait social ou moral, cette scène initiale (et d’initiation) s’avère être le souffle qui va faire se tourner les pages du roman, le premier jalon d’un destin digne d’une tragédie antique. Jérôme part étudier à Toulouse puis habiter à Paris, chez ses deux tantes, bienveillantes malgré la concupiscence qu’elles éprouvent d’abord face à leur neveu. Jérôme multiplie les aventures, se donne sans mesure ni plan. Il est un corps errant. Jusqu’à ce qu’il rencontre le voisin du dessus, atteint du sida, qui finira par mourir dans ses bras. À l’heure où les auteurs ont tendance à écourter les phrases, à multiplier les ellipses, Mathieu Riboulet déploie une langue complexe mais toujours parfaitement harmonieuse et rythmée. On jubile face à cette écriture aussi virtuose que sensible qui n’oublie pas son sujet mais l’accompagne dans ses virages et ses chutes. L’Amant des morts est un livre magnifique.