Le Monde des livres, 12 novembre 2010, par René de Ceccatty
Trois fragments du corps intime
[…] Mathieu Riboulet n’avait pas craint […] dans L’Amant des morts, de décrire une sexualité multiple et anonyme. Avec Bastien va un peu plus loin. Son personnage est, telle la Divine de Jean Genêt dans Notre-Dame-des-Fleurs, un petit paysan qui entre, une fois adulte, dans le monde de la nuit. Après avoir rêvé de devenir une femme, Bastien s’exhibe dans des films pornographiques. L’auteur suit parallèlement le parcours de son personnage, poétique et désespéré, et sa propre psychologie de voyeur : « Je ne voudrais pas de Bastien pour faire ma vie, parce que ma vie consiste essentiellement en une contemplation à l’occasion rageuse de l’inappropriable : Le corps du désir. »
Le roman analyse, dès lors, minutieusement le regard sur le corps masculin dans le cadre de l’industrie cinématographique du sexe. Mais est-ce seulement de stimulation érotique qu’il s’agit là ? Le tempérament très mystique de l’auteur oriente le récit vers autre chose, sans pourtant jamais se détourner de cette sensualité particulière, obsessionnelle, répétitive, que l’écran et la nature même de ces images rendent abstraite, impersonnelle. Une « bataille livrée au ciel », commente curieusement le narrateur. On accepte cette métaphore tant le roman s’éloigne de toute connotation graveleuse.
Les souvenirs de l’enfance villageoise de Bastien, le « brouillard exquis » qui envahit l’auteur décrivant son trouble devant « l’effacement des barrières entre nos corps et le monde qu’ils habitent » créent une atmosphère lancinante. Riboulet propose alors […] une réflexion poétique sur ces corps intimes, devenus collectifs sous le regard des voyeurs : « espaces battus par les vents de la consommation et de la perte ». Et […] du corps, inévitablement, on en revient à l’âme.