L’Express, 27 septembre 2012, par Marianne Payot
Mathieu Riboulet, hanté par les victimes du nazisme
Dans Les Œuvres de miséricorde, Mathieu Riboulet se livre, sur les chemins de l’Allemagne, à une magistrale méditation sur les morts des guerres passées.
Un. Tu ouvriras le livre de Mathieu Riboulet ; 2. Tu ne le refermeras pas avant la fin ; 3. Tu pleureras toi aussi les morts de nos dernières guerres ; 4. Tu pardonneras aux Allemands du 21e siècle ; 5. Tu douteras toujours de ta capacité à opérer le juste choix ; 6. Tu perdras la notion du temps devant les tableaux du Caravage ; 7. Tu prêteras le livre à tes amis. Telles les sept œuvres de miséricorde (loger les pèlerins, visiter les malades, ensevelir les morts…) qui aideront les chrétiens à l’heure du Jugement dernier, voici ce que pourraient être les sept impératifs moraux de tout lecteur du dernier roman de Riboulet. « Que faire de tous ces morts, où vivre, comment s’aimer ? » C’est à ces obsessions, nourries par les ravages de l’Histoire, aussi fortes que sa fascination pour le Caravage, que Mathieu Riboulet, né en 1960, tente de répondre dans ce livre exaltant, bruissant de violence et d’amour. Pour mener sa quête de la vérité, le narrateur a pris le chemin de mémoire, celui d’Allemagne, l’ennemi de 1870, de 1914, de 1940. À Cologne, à Berlin, il caresse des corps, ceux d’Andreas, « le bourreau de saint Jean-Baptiste », de Dieter, « saint Jean de La Mise au tombeau » ou encore de Tajdîn, le bel étudiant kurde ; visite les mémoriaux aux Juifs d’Europe assassinés, et aux homosexuels victimes du nazisme.
Tandis qu’il remue l’histoire aux tréfonds de son corps et de son esprit, en compagnie de Heinrich Böll, de Sebald, de Fassbinder, de Pina Bausch, le Français bute sur les morts de 1940 : « L’art face à l’impensable fait comme les autres, il « impense » et contourne. » Et c’est de ce côté-ci du Rhin, sur son plateau calcaire balayé par les vents, qu’il « gagne ses œuvres », pansant chastement les plaies d’Adrien, jeune marginal meurtri par un lourd passé familial. Au terme de sa quête métaphysique, Mathieu Riboulet achève son chemin d’Allemagne. Toujours aussi hanté par les 6 millions de victimes du nazisme. Mais prêt à passer un coup de fil à Andreas, à Tajdîn pour « leur dire des mots d’amour ».