Page des libraires, septembre 2000, par Yann Granjon, Librairie Sauramps (Montpellier)
« Il s’agit ici de jours qui n’ont jamais existé ou ont existé différemment, et que l’auteur invente au fur et à mesure, en développant la parabole d’une vie imaginaire. Imitant ces estampes populaires où sont représentés les divers âges de l’homme, du berceau à la tombe, le long d’un escalier qui monte et qui descend. » Extraits d’une apostille rédigée par lui-même, ces mots résument les intentions de Gesualdo Bufalino dans un livre écrit comme pour mieux observer, et infléchir au besoin, le cours de sa vie avant qu’elle ne lui échappe. Bufalino entrelace la mémoire et l’imagination dans un jeu inextricable. Le dialogue de ces deux voix réinvente les étapes d’une vie où l’on ne distingue pas la frontière de l’invention et du souvenir vécu, qui s’harmonisent dans une trame quasi romanesque où vérité et mensonge n’ont pas cours, où tout est vrai, dans l’authenticité des cheminements intérieurs. Bufalino témoigne ici d’un art d’écrire somptueux, multipliant les images en cascade, en digne héritier des architectes baroques de la Renaissance. Avec un art du détail qui dilate l’instant, il parvient à échapper à la tyrannie du temps et à « dépasser les limites étroites de son sort ». Partagé entre le miracle et le malheur d’être, ce pessimiste profondément sicilien, hanté par la conscience de sa propre fin – « Il est né. Il a commencé à vivre. Il a commencé à mourir » – mais sans cesse ravi par les délices que le monde provoque en lui – « Intrigué par le monde, comme dans mon enfance je sens en lui un allié » –, n’aura cessé de les goûter à travers l’écriture et la culture qui ont nourri sa vie. Né dans le sud de la Sicile en 1921, mort en 1996, Gesualdo Bufalino est notamment l’auteur du Semeur de peste, de Qui pro quo et de Tommaso et le photographe aveugle.