Page des libraires, octobre 2008, par Stanislas Rigot, Librairie Lamartine (Paris 16e)

Au nom du père

En apparence énième variation du classique destin du jeune provincial gagnant la capitale, L’Amant des morts se révèle d’un lyrisme trouble, qui, longtemps après avoir refermé le livre, continuera de vous hanter.

Jérôme Alleyrat est né dans une ferme au bord de la Creuse, d’une mère qui n’a pas voulu de la bourgeoise existence que lui promettait sa naissance, et d’un père bûcheron qui vagabonde d’un chantier à l’autre, d’une rencontre à l’autre, d’un sexe à l’autre, incapable d’assouvir ses pulsions. Le père va aimer le fils. Physiquement. Le fils va aimer ces moments « d’étreintes saccadées ». La mère finira par s’en rendre compte. Elle disparaîtra totalement dans l’indifférence. Sur cette scène originelle, magnifiée par Mathieu Riboulet dont le talent peut rivaliser avec celui des grands auteurs contemporains (Pierre Michon en tête), l’auteur transcende son sujet. On suit le héros d’un Toulouse universitaire, enveloppé de rose à tendance sombre, jusqu’à un Paris des années 1990, illuminé dans un premier temps par les deux tantes de Jérôme, Constance et Alix, veuves et rentières, tenant un salon où se réunissent des artistes et des gens concernés par la chose artistique. Jérôme se confronte alors à cette capitale, corps et âme. Parallèlement, l’épidémie du Sida frappe, et frappe encore. Ce bref roman tire toute sa force, qui est impressionnante, de la langue de son auteur, souvent fulgurante de beauté.