Télérama, 17 novembre 2010, par Michel Abescat
Comme souvent chez Mathieu Riboulet, il y a un mystère au cœur de son dernier livre. Celui d’un garçon, vu et revu, dévoré, contemplé à travers les images d’un porno gay. Un garçon qui, apparemment, montre tout – son corps, son cul, sa peau –, mais cache l’essentiel – son histoire, sa vie, son âme. Du narrateur on ne saura rien, sinon qu’il aime les garçons et les vidéos pornographiques. Mais c’est par lui, voyeur obsessionnel, enfermé dans le retrait de lui-même, regard aigu autant que fertile, que l’on finira lentement par percer le mystère du garçon sur la pellicule.
Superbement incarné, dans la splendeur de sa liberté et de sa puissance sexuelle, le voici peu à peu inventé, mis au monde par le narrateur qui le couche avec passion sur le papier. « Appelons-le Bastien », écrit-il au tout début du texte. Bastien, un nom solidement ancré. Bastien, bastion, bastide. Un nom qui sent les vieilles racines, l’inscription ferme dans la nature. Et le narrateur de le faire naître en Corrèze, de lui donner le goût de l’escalade sur les grands causses de Lozère. Ce sont ainsi les thèmes chers à Mathieu Riboulet que l’on retrouve dans ce roman. Le lien avec la terre, la présence au monde qui lui est liée, la vision presque mystique qui s’attache au destin de son héros.
Offert au regard de tous, généreux de son corps, vivant incomparable, Bastien allume les envies, libère les énergies, délivre de la mort qui gagne, incarnant ainsi l’utopie d’un monde libéré de ses entraves. Et l’espoir d’une renaissance. Roman virtuose de la contemplation et du désir, Avec Bastienest enfin acte de foi en la littérature. Aller au-delà des apparences, partager le regard, réinventer le monde, comme le fait le narrateur, c’est tout le travail de l’écriture.