Vient de paraître, octobre 2008, par Thierry Guichard
C’est un diamant noir que ce huitième livre de Mathieu Riboulet : dans sa tension, dans sa fulgurance et sa rage, dans l’implacable force de sa prose. Nous sommes dans les années 1980 et dans le trou du cul du monde : la Creuse. Jérôme est né du fruit de l’accouplement d’un bûcheron taraudé par le désir et d’une Parisienne échouée à la campagne dans le sillage des années 1970. Pas d’amour entre ces deux-là. Les liens qui les unissent tiennent plus de l’animalité, pour lui, de la passivité, pour elle. Et Jérôme au milieu de cela. La première phrase du roman est une manière de dissuader les bonnes âmes de poursuivre plus loin : « Le père, de temps à autre, couchait avec le fils. » La première phrase du paragraphe suivant enfonce le clou : « Le fils, de temps à autre, couchait avec le père. » La mère, dégoûtée, quittera ces deux-là et le livre par la même occasion. Le désir irradie les premières pages comme une cellule cancéreuse. C’est sombre, fait d’une matière qu’on dirait sortie de l’humus noir des forêts. Jérôme n’a pas plus que son père l’amour chevillé au corps. Le désir oui, la nécessité peut-être de se dissoudre dans la « grande affaire, où brille la gloire pleine ». Sous prétexte de faire des études, le fils trouvera une porte de sortie de cette région enfouie dans un autre âge. Toulouse l’accueille d’abord, dans l’anonymat de sa condition d’étudiant, puis ce sera Paris où deux tantes, veuves et femmes (on en croisera, veuves aussi qui seront des hommes) l’hébergent, séduites par tant de grâce. C’est à Paris que le sida s’imposera à lui, sous la forme du corps martyr de son voisin. Un « nous » s’immisce dans le récit, troublant, insistant autant que fantomatique. La révélation du sida ouvre plus grand le sentiment christique qui gisait au corps de Jérôme. Il sera, sans aucune religiosité, « l’amant des morts » ou de ceux qui sont sur le point de le devenir. Roman rageur sur le sida, L’Amant des morts est tout entier porté par une langue magnifique et violente. Sans concession.