Citizen K, 21 juin 2013

Le père incestueux

L’absence de figure paternelle serait une condition favorable à l’épanouissement de l’artiste. Voyez Rimbaud, élevé par sa mère…

« Est-ce en raison de nos habitudes familiales […], nous fûmes formées très tôt, mes sœurs et moi, vers dix, onze ans. » Paru un an avant que Christine Angot ne distille dans Une semaine de vacances le détail de son viol incestueux, ce texte court en est comme l’antithèse chargée de saveur acide. Car chez Anne Serre, les parents bénéficient de l’ardente et précoce complicité de leur portée féminine, faisant avec elle « des choses qu’il est absolument interdit de faire avec les enfants ». Remémoration tardive de l’une d’entre ces filles parvenue au seuil de l’âge mûr, empreint d’une fausse candeur délicieusement incisive, le récit de ce dévergondage tribal (« auquel s’adjoignent quelques comparses familiers) ne manque pas de sel : « On peut dire que Pierre Peloup fut mon premier amant – après papa – car le docteur Mars, s’il aimait nous toucher, ne s’introduisit en nous que plus tard. Il goûtait notre présence lorsqu’il saillait maman ». Plus loin : « Le sexe de papa faisait nos délices. Nous n’étions jamais assez rassasiées de sa vue, de son toucher. Sa forme exemplaire se dressait avec une telle autorité, les plaisirs qu’il nous dispensait étaient si vifs, que je me souviens du tapis à grosses fleurs de son bureau comme d’un jardin bien supérieur à ceux de Le Nôtre. » C’est au décalage absolu entre l’amoralité de ce qu’elle dépeint et le ton distancié qu’elle emploie que tient l’humour grinçant de cette cruelle parabole sur les vertus de l’amour filial. Un petit livre qui a tout le mystère d’un conte. Et, comme l’on sait, les contes n’ont jamais été écrits pour les enfants.